Maryse et Suzanne ont chacune perdu leur mari, décédé d’un mésothéliome. Elles ont décidé de poursuivre leur employeur, Alstom et Babcock, afin de faire reconnaître la faute inexcusable de ces entreprises. Elles viennent de gagner leur procès au bout de deux ans environ. La reconnaissance de cette faute était leur première motivation. Elles expriment leur satisfaction et leur soulagement tout en soulignant que cette victoire ne remplacera pas la perte douloureuse de leur compagnon.

" J’ai du mal à accepter de l’argent en contrepartie de la vie de mon mari ",dit Suzanne, 76 ans.

Son mari est tombé malade en 1990. Il est mort d’un mésothéliome en 1999, à l’âge de 71 ans.

Pour Suzanne, la reconnaissance de la faute de son employeur, Babcock, primait sur l’argent.

Le jugement a été prononcé le 10 octobre dernier par le Tass de Paris. Elle, aussi, attend le jugement écrit et ne sait pas si cette société va faire appel. Elle a obtenu 135.000 euros.

"Je sais qu’au Fiva, on est presque sûr d’obtenir une réparation financière.

Je comprends que l’on puisse avoir besoin d’argent et que l’on veuille être certain d’avoir gain de cause, mais pour moi il est dommage de ne pas essayer de faire condamner une entreprise responsable de la contamination de ses employés. Ce n’est pas elle qui reconnaîtra ses torts d’elle-même ! C’est grave de mettre la vie des gens en danger pour un travail.

Un procès, c’est plus aléatoire et cela peut prendre du temps même si, dans notre cas, la procédure a été relativement rapide. Elle a duré deux ans.

Finalement, mes fils et moi, nous nous sentons soulagés et contents mais toujours en colère parce que les patrons savaient et n’ont pourtant rien fait ! "

Propos recueillis par Pierre Luton


Article tiré du Bulletin de l'Andeva N°12 (janvier 2004)


Maryse et Suzanne ont chacune perdu leur mari, décédé d’un mésothéliome. Elles ont décidé de poursuivre leur employeur, Alstom et Babcock, afin de faire reconnaître la faute inexcusable de ces entreprises. Elles viennent de gagner leur procès au bout de deux ans environ. La reconnaissance de cette faute était leur première motivation. Elles expriment leur satisfaction et leur soulagement tout en soulignant que cette victoire ne remplacera pas la perte douloureuse de leur compagnon.

"Avec le temps, je me suis dit ça irait mieux. Mais, aujourd’hui, j’ai encore beaucoup de rage » , témoigne Maryse, 53 ans, qui a perdu son mari en 2000.

Le frère de son mari est mort en juillet 2000 d’un mésothéliome. En septembre, son mari, âgé de 50 ans, est tombé malade et est également décédé d’un mésothéliome en novembre de la même année.

Maryse vient de gagner contre la société Alstom où son mari et son beau-frère ont été contaminés par l’amiante.

"Le fait que cette société ait été condamnée pour faute inexcusable me soulage, mais, en même temps, je sais que mari ne sera jamais remplacé. Je n’ai pas encore tourné la page. "

Elle s’empresse d’ajouter qu’elle attend le jugement écrit et qu’elle ne sait toujours pas si Alstom va faire appel du jugement. Le jugement a été prononcé le 12 décembre dernier par le Tass (Tribunal des affaires de Sécurité sociale) de Bobigny.

Maryse estime que le procès a été assez rapide mais aussi éprouvant. Toute l’année 2003 a été une année de procédure avec une remise d’audience.

« Nous avons obtenu environ 150.000 euros pour le décès de mon mari et les préjudices subis par ma fille et moi. Mais ce n’est pas vraiment l’argent qui m’intéresse. Je voulais avant tout obtenir une reconnaissance et entendre dire qu’Alstom avait mis en danger des êtres humains.

Bien sûr, l’argent est bienvenu car j’ai du mal à gérer ma vie en ce moment et à entretenir la maison que nous avions achetée ensemble.

Au final, j’aurais toujours obtenu cette reconnaissance. Je suis arrivée à mes fins et j’ai aussi pu témoigner et prévenir les collègues de mon mari et tous les autres afin qu’ils ne subissent pas ce que nous avons subi. "


Article tiré du Bulletin de l'Andeva N°12 (janvier 2004)


Monique sortait de l’école quand elle a trouvé du travail dans une petite usine, à deux pas de la maison de ses parents. Un demi-siècle plus tard, elle a été rattrapée par un mésothéliome. Elle témoigne.

J’ai travaillé trois ans et demi chez Vieuxmaire au Raincy (93), une petite entreprise qui fabriquait des joints en amiante pour l’automobile et des vêtements anti-feu en amiante pour les pompiers.

Ma chef et moi devions découper et assembler des mouffles et des cagoules de pompier.

Le tissu d’amiante arrivait en grands rouleaux de 1,20 mètre.

Les rouleaux étaient empilés les uns sur les autres. Ce n’était jamais le bon qui était sur le dessus. J’escaladais la pile de rouleaux en faisant la « fofolle ». Nous avions souvent des fous rires...
Quand je trouvais le bon rouleau, nous le descendions à deux. Nous le déroulions sur une table posée sur des tréteaux.
Puis, il fallait plier la «  rame   » de tissu en accordéon sur plusieurs épaisseurs pour qu’elle passe dans la machine.

N’ayant pas 16 ans, je n’avais pas le droit d’utiliser les machines, mais j’ai dû m’y mettre avant l’âge requis.
Les chutes de tissu d’amiante allaient dans une poubelle ordinaire. En sortant de l’école, mon jeune frère passait devant l’usine. Ses copains et lui jouaient avec ces bouts de tissus. A l’époque, nous ne savions rien des dangers de l’amiante. Dans cette usine, je n’ai jamais entendu quelqu’un en parler.

Quand il faisait beau on faisait le pliage à l’extérieur ; quand il faisait mauvais, c’était dans l’atelier. La poussière d’amiante voltigeait dans les locaux. La manipulation des tissus en soulevait plus que celle des joints. En les pliant, on la voyait s’envoler...
Le vendredi soir, je faisais un grand nettoyage, une semaine sur deux, en alternance avec une autre fille de mon âge, qui emballait les cartons de joints. Il y avait beaucoup de poussière, qu’on balayait à sec, avec un balai de coco.
L’entreprise ne lavait pas nos blouses. Je ramenais les miennes à la maison. Nous étions six enfants. Il n’y avait pas de machine à laver. Ma mère lavait nos vêtements à la main.

J’ai quitté Vieuxmaire. J’ai été mécanicienne sur machines à coudre, vendeuse de grands magasins, puis j’ai travaillé 26 ans à la SAFT. J’ai pris ma retraite, en 1998.

L’an dernier, j’ai commencé à ne pas me sentir bien. J’étais essoufflée, je n’avais plus d’énergie pour recevoir des amis. J’ai passé des examens. Les médecins n’ont rien vu.

Un jour la situation est devenue invivable. Dès que je montais un escalier et même en marchant en terrain plat, j’étais essoufflée.

On m’a fait passer des radios. En voyant les premiers clichés, je n’ai pas pensé à l’amiante, mais j’ai tout de suite compris que j’avais quelque chose de grave aux poumons.

Ma chef avait déclaré une asbestose pulmonaire en 2000. Sa maladie a été reconnue. J’ai été, moi aussi, indemnisée par le Fiva.
J’ai été étonnée d’apprendre que le danger de l’amiante était connu depuis longtemps. Si mes parents l’avaient su, ils ne m’auraient jamais fait rentrer dans cette usine !

L’Addeva 93 m’a beaucoup aidée. Elle fait travail formidable. Merci à Maribel pour sa gentillesse.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°45 (avril 2014)

« Renault comme bien d’autres entreprises a exposé des milliers de salariés au risque amiante. Comme toutes les autres, elle se défend de l’avoir fait sciemment. Pourtant les faits prouvent le contraire.
L’exemple Billancourt est édifiant. Des centaines de milliers de salariés y ont travaillé pendant des décennies. Alors que depuis le début du siècle dernier la nocivité de l’amiante était connue, on continua à l’utiliser jusqu’à une date récente dans pratiquement tous les secteurs de production de véhicules, sans qu’à aucun moment des dispositions ne soient prises pour préserver la santé des travailleurs.
Dans les années 80, il y avait des « classeurs sécurité », dans les ateliers de maintenance-entretien. Ils regroupaient des notes de service. Aucune ne fait état du risque amiante, malgré le décret de 1977 qui commençait à alerter sur le danger.
Pire : en Mai 1992, la cave de l’atelier des traitements thermiques, en cessation d’activité, fut vidée de centaines de kilos d’amiante en vrac par des travailleurs de cet atelier, à main nue, sans aucune protection particulière ou information légale. L’amiante ainsi déménagé a terminé comme déchet banal à la T.I.R.U d’Issy les Moulineaux. Les salariés impliqués dans ce déstockage sauvage avaient alerté les représentants CGT du personnel au CHSCT. En 1996, une action en justice fut engagée par le syndicat. Elle n’aboutit pas, mais la médiatisation de l’événement, la création de l’Association Renault de Défense de l’Amiante à Billancourt, les nombreuses interventions des élus, les pétitions, contraignent le la direction Renault à tenir une assemblée extraordinaire des CHSCT, le 13 Mars 1996. Malgré ses limites, ce fut la première information digne de ce nom.
Hélas ! Le mal avait été fait. Aujourd’hui, les dossiers de victimes sont de plus en plus nombreux : reconnaissance de maladies professionnelles, FIVA, faute inexcusable… Des salariés relativement jeunes, en activité, sont frappés par la maladie. La semaine dernière, l’épouse d’un collègue nous annonçait que son mari était mort de l’amiante.
Plusieurs fois condamnée suite à des actions en faute inexcusable de l’employeur, Renault n’a pas modifié sa ligne de conduite pour autant. Elle continue à dresser des obstacles pour ceux qui demandent réparation, elle continue à détériorer les conditions de santé et de vie au travail.
Un collectif de défense des victimes de l’amiante chez Renault (région parisienne) s’est créé en 2007. Il rayonne sur les usines Renault de Billancourt, Flins, Rueil, Lardy, Aubevoy, Guyancourt. Il est là pour informer et aider les victimes à faire valoir leurs droits avec l’appui de l’Addeva 93, mais aussi pour faire en sorte que des catastrophes telles que l’amiante ne se renouvellent plus. Il travaille en collaboration avec plusieurs organisations syndicales de Renault (CGT, Sud, la liste n’est pas exhaustive), Un blog a été mis en place : http://www.collectif-amiante-renault.org/
Pierre BERNARDINI,
retraité de Billancourt
Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°27 (septembre 2008)

jean Dalla Torre a 82 ans. Au cours d’une vie professionnelle bien remplie, il a été électricien pendant 4 ans.

Claude Aufort a 74 ans. Elle a été prof d’anglais pendant 20 ans dans un vieux lycée délabré de Saint Ouen.
Tous deux ont été exposés dans leur travail aux fibres cancérogènes de l’amiante.
Tous deux ont été rattrapés - des décennies plus tard - par un mésothéliome pleural : Jean en 1994, Claude en 2003.
Ils ont connu le choc de l’annonce, les effets pénibles d’un traitement lourd, la crainte du lendemain...
Le pronostic était sombre. Et pourtant ils sont encore là et nous parlent de leur vie.

"Quand on vit, il n'y a pas l'ombre d'une seconde à perdre"

Comment avez-vous été exposés à l’amiante ?
Jean Dalla Torre : J’ai été électricien pendant quatre ans, de 1958 à 1962, avant d’être agent d’assurance. Je travaillais dans des gaines techniques, je perçais des trous pour passer des chemins de câbles. Quatre ans ont suffi...
Claude Aufort : J’ai été prof d’anglais pendant 20 ans dans un lycée de Saint-Ouen avec des préfabriqués vétustes et mal entretenus. Il y avait sans doute de l’amiante dans les cloisons des couloirs, les dalles de sol, les plaques de faux plafond...
Votre maladie a-t-elle été reconnue ?
Jean : J’étais courtier en assurances, une profession libérale. Ma couverture sociale ne prévoyait pas la reconnaissance en maladie professionnelle. Au Centre hospitalier intercommunal de Créteil, une interne très motivée a fait ressortir que j’avais été exposé comme électricien, à une époque où j’étais affilié au régime général. J’ai pu être indemnisé grâce à elle.
Claude : Mon vieux lycée a été détruit en 1989 et remplacé par un lycée neuf où j’ai passé mes dix dernières années d’enseignement. Je n’ai pas réussi à retrouver de preuve d’exposition et je n’ai donc pas pu faire reconnaître l’origine professionnelle de ma maladie. J’ai été indemnisée par le Fiva, mais je reste convaincue qu’il s’agit d’une maladie professionnelle et je sais que le gardien de l’établissement est mort d’un cancer du poumon.
Comment avez-vous su que vous aviez un mésothéliome ?
Jean : En 1994, lors d’un rassemblement en montagne avec un club d’astronomie, j’ai ressenti de grandes difficultés respiratoires. J’ai passé des examens à l’hôpital intercommunal de Créteil. Le pneumologue m’a annoncé que j’avais un mésothéliome, qu’il n’existait aucun traitement et qu’il me restait environ un an à vivre.
Il m’a demandé si j’acceptais en signant une décharge « à titre humanitaire  » de suivre un protocole expérimental avec de l’interféron. J’ai accepté.
Claude : Pour moi, ça a commencé par un mal de dos. J’ai pensé qu’il s’agissait de contractures parce que je ne faisais pas assez de sport. En 2003, pendant les manifestations contre la loi Fillon, j’ai eu une pleurésie. Le diagnostic n’a pas été posé tout de suite. On m’a fait des biopsies. Je suis allée d’abord à l’Hôtel Dieu, puis à Curie.
Et puis j’ai su que j’avais un mésothéliome. Curieusement, cela ne m’a pas paniquée. J’étais sans doute inconsciente. Je savais que cette maladie était une «  saloperie  », mais je savais qu’à Curie la prise en charge de la maladie serait la meilleure possible.
Ma cancérologue était alors une petite femme de 40 ans, avec qui le courant est tout de suite passé. Elle m’a déconseillé d’aller regarder ma maladie sur Internet. Je me suis tout de suite sentie en confiance avec elle.
Comment se passe votre traitement ?
Jean : Mon mésothéliome avait été détecté à un stade précoce (1 A). J’ai suivi un protocole expérimental avec un traitement très lourd. Les séances duraient six heures. Les aides-soignantes me réservaient toujours la même chambre au bout du couloir. Après les séances je revenais tout seul le soir en voiture. Cela s’est bien passé, sauf une fois où ça s’est très mal passé... J’avais des montées en température jusqu’à 40.
Le protocole a fonctionné. Après le traitement, j’ai continué les contrôles, d’abord tous les six mois, puis tous les ans, puis tous les deux ans. Ma rémission dure depuis près de vingt ans.J’ai rencontré des gens formidables dans le personnel hospitalier. Ils m’ont sauvé la vie.
Claude : J’ai un traitement à base d’Alimta, avec une ou deux séances de chimiothérapie toutes les trois semaines, pendant plusieurs mois. Après chaque chimio, il me faut deux jours pour m’en remettre.
Quand une série de chimios est terminée, j’ai un répit qui peut durer de quelques mois à un an. Et puis je reprends le traitement. J’ai passé plusieurs Noëls à l’hôpital. Cela dure comme cela depuis dix ans...
Récemment, l’Alimta a cessé de faire de l’effet et mon traitement a dû être modifié. J’ai fait une intolérance aigüe à l’un des produits. Je suis tombée en syncope. J’ai bien cru que je n’allais pas m’en sortir. Le produit a été supprimé du protocole. J’ai perdu ma mère qui vient de mourir centenaire. J’ai eu une angine qui a interrompu la chimio. Après une baisse de forme, je commence à remonter la pente. Je repasse un scanner en janvier.
Comment vivez-vous votre maladie ?
Jean : Tous les gens ne sont pas égaux devant la maladie. Je suis quelqu’un d’actif. Je participe à de des associations sur toutes sortes de sujets. Je n’ai pas un tempérament à me laisser aller.
Cette énergie m’a aidé à faire face, mais elle m’a aussi posé des problèmes. Le pneumologue m’avait recommandé d’être attentif aux signes avant-coureurs d’une éventuelle rechute   : une transpiration excessive, une perte de poids... J’ai réagi à ma façon : dès que je perdais 20 grammes, je mangeais pour en reprendre 200 ! Je pèse aujourd’hui 120 kilos et mon surpoids a provoqué des fragilités des hanches et des genoux, qui m’obligent à utiliser un fauteuil roulant pour me déplacer.
Claude : J’étais une militante syndicale. Je suis devenue une militante «  anti-méso  ». J’essaie d’avoir une attitude active face à ma maladie. Je fais ce que me disent les médecins, je m’accroche. C’est la seule façon dont je peux les aider à combattre cette maladie que j’appelle ma «  sarkozyte  » (pour exprimer tout le mal que je pense d’elle). C’est aussi ce qui m’a permis, pendant dix ans de soutenir et d’accompagner ma mère.
Quelles sont vos relations avec le corps médical ?
Jean : J’ai toujours essayé de ne pas être un malade «  chiant   ». Je ne suis pas de ceux qui râlent contre la nourriture de l’hôpital. La lourdeur de mon traitement ne m’a jamais empêché de blaguer avec les infirmières à qui je disais : «  s’il me reste un an à vivre, ce n’est pas la peine que j’emmerde tout le monde  », ou «   si je m’en vais, ce sera de la poitrine, pas de la tête   »...
L’humour est-il une arme contre la maladie ?
Jean : Bien sûr. J’écris en ce moment un livre sur ma vie. J’y raconte des anecdotes. Un jour par exemple, j’ai demandé à la secrétaire médicale des nouvelles d’un pneumologue. Elle m’a répondu : « Il est mort d’un cancer du poumon. Il fumait plus de deux paquets de cigarettes par jour... »â€¯ C’est lui qui m’avait annoncé que j’en avais pour douze mois !
Quelles qualités appréciez-vous chez un soignant ?
Claude : Ma cancérologue accorde une grande importance au traitement de la douleur. Elle est précise, méthodique. A chaque consultation, elle regarde mes clichés, vérifie mes constantes et me pose une batterie de questions pour cerner mon état de santé.
J’apprécie son contact humain, son souci de m’informer, de m’expliquer, sa capacité à avoir avec moi des rapports sur un pied d’égalité. Mon avis est pris en compte. Je suis actrice de ma maladie. C’est un travail à deux.
J’apprécie aussi son souci d’informer régulièrement mon généraliste, ma gynéco, mon acupunctrice (qui travaille à atténuer les effets du traitement). C’est un travail en groupe basé sur une relation de respect avec les autres médecins.
Quelle différence avec la consultation que j’ai vécue chez un grand ponte ! Je me souviens qu’il ne m’avait posé aucune question ni auscultée ; il avait passé son temps à lire les informations dans l’ordinateur sans se lever de son siège !
Jean : J’ai une grande confiance dans la pneumologue qui me suit pour les examens de contrôle.
Cela dit, je suis très vigilant par rapport au pouvoir médical. Je ne me laisse pas impressionner. Je peux comprendre qu’il y ait des dysfonctionnements, mais j’estime que mon rôle en tant que patient est de les signaler. Pour mon opération de la hanche, j’ai passé quatre mois et demi à l’hôpital suite à trois erreurs médicales. Le chirurgien n’est même pas venu s’excuser. Je l’ai accroché un jour quand il mettait le nez dans ma chambre. Je lui ai dit   : « Je ne porte pas plainte pour cette fois, mais je ne veux pas que cela se reproduise  ». Avec les médecins, je joue carte sur table.
Des chercheurs ont-ils étudié les raisons de votre longévité ?
Claude : Non, mais nous, nous aimerions bien savoir où en sont les recherches sur le mésothéliome.
Pourquoi, lorsque deux personnes respirent les mêmes fibres, l’une tombe malade et l’autre pas ? Pourquoi, lorsque deux personnes sont malades, l’une vit plus longtemps que l’autre ? Quelles sont les avancées sur la compréhension du mésothéliome et l’effet des traitements  ? Ces questions nous concernent. Nous voudrions être informés, savoir s’il y a des avancées.
Quels ont été les effets de la maladie sur votre famille ?
Claude : Ma mère avait accepté ma maladie.
Je vis seule. J’ai trois grands enfants, qui ont dépassé la quarantaine. Ils vivent leur vie. Je leur fiche la paix. En les informant de ma maladie, j’ai dit : « La vie continue »...
La maladie a resserré le cercle familial. Ils s’inquiètent pour moi. Ils demandent de mes nouvelles, Mes petits-enfants me téléphonent : « Comment vas-tu, Mère-Grand ? »
Jean : Mes parents se sont séparés. J’ai perdu ma mère à l’âge de 15 ans. Avec le temps, les rapports entre mon père et moi sont devenus ceux de deux copains. A l’annonce de ma maladie, il n’a pas trop mal réagi. Il m’a fait confiance.
Jacqueline, mon épouse, m’a apporté un soutien formidable, et j’ai eu le bonheur d’adopter Xu, une jeune chinoise de 17 ans que le destin a mis sur ma route, le 6 juin 2003, au sortir d’un tournoi de scrabble. J’ai aujourd’hui le bonheur d’être grand-père.
Comment avez-vous connu l’association ?
Jean : J’ai rencontré Henri Pézerat au Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN). L’Andeva n’existait pas encore. Nous avons déjeûné ensemble. Il m’a dit qu’une association nationale était en cours de création. J’ai été élu au conseil d’administration de l’Andeva dont je fais encore partie aujourd’hui. A cette époque j’ai déposé un dossier au pénal qui a été classé sans suite, ce que je regrette.
Claude : J’avais une longue pratique militante comme déléguée syndicale. Pour moi, l’engagement associatif a prolongé l’engagement syndical. J’ai été aidée par Marie-José Voisin et les militants de Jussieu. J’ai apprécié la qualité des informations qu’ils me donnaient, leurs compétences, leur présence à mes côtés.
J’ai adhéré à l’Addeva 93. Je suis membre du conseil d’administration. Cet engagement dans une association a élargi mes vues.
Quand j’étais prof, il n’y avait pas de CHSCT, la santé au travail n’était pas au centre de nos préoccupations.
J’ai appris beaucoup de choses dans ce domaine..
Que représente pour vous l’action de l’Andeva ?
Jean : Je l’ai vue grandir. Avec 28 000 adhérents elle est aujourd’hui devenue un outil fantastique pour les victimes de l’amiante. C’est à elle qu’on doit la création du Fiva et de l’Acaata. Elle a acquis une « puissance de feu » considérable. Les associations locales, l’équipe de Vincennes, le bureau et le CA font un travail monumental.
Avec mon amie Suzanne Dianoux, j’ai régulièrement participé aux marches des veuves de Dunkerque autour du Palais de Justice. C’était un mouvement extraordinaire. Il a pris aujourd’hui une dimension internationale.
Claude : J’apprécie l’efficacité de l’Andeva et de ses animateurs. J’ai été impressionnée par tout ce qui s’est passé autour du procès de Turin. Beaucoup de personnes compétentes, intellectuels ou juristes par exemple, saluent son action. Malheureusement trop peu s’engagent.
A 74 et 82 ans, vous continuez à être actifs...
Claude : Je ne sais pas rester sans rien faire. J’ai toujours aimé peindre. Je continue à le faire pour mon plaisir. J’aime faire des activités manuelles comme du patchwork. Quand il y a une panne, j’essaie d’abord de réparer moi-même. Mon père disait toujours que j’étais une «  bricoleuse  ». J’essaie aussi de participer à la vie de mon quartier. Cela m’intéresse.
J’ai passé aussi beaucoup de temps à m’occuper dema mère Jean : Je participe à une vingtaine d’associations  : l’Andeva, le Gsien, l’Apf (Association des paralysés de France), Greenpeace, ATD Quart Monde, Amnesty International, Handicap international, Valentin-Haüy. J’ai créé une association de lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme. Le premier des droits de l’Homme, c’est de savoir lire et écrire. J’ai aussi participé à la création de l’association pour «  Vivre et vieillir en citoyens » (Avvec). J’ai fait des animations dans les maisons de retraite. Je fais des tournois de scrabble. J’avais essayé de suivre une formation de clown. J’ai renoncé, mais je garde dans ma poche un gros nez rouge, qui fait rire les petits enfants.
L’astronomie est pour moi une passion. J’étais membre d’un club. J’ai fait des animations pour des adultes et dans les écoles. La terre est à 150 millions de kilomètres du soleil. Si elle avait été plus près ou plus loin, plus grosse ou plus petite, il n’y aurait pas eu d’atmosphère donc pas de vie. Quand on vit, il n’y a donc pas l’ombre d’une seconde à perdre...
Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°44 (Janvier 2014)

Il y a 12 ans, Ahmed**, un ouvrier du bâtiment, témoignait de sa vie gâchée et de son amertume d’avoir respiré l’amiante sans connaître ses dangers. Il était notamment intervenu à l’usine d’amiante CMMP d’Aulnay. Ahmed nous a quittés peu après avoir écrit ce témoignage que nous lisons avec la même émotion qu’il y a 12 ans.

« Je suis d’origine marocaine, arrivé en France à l’âge de 31 ans avec la ferme volonté de travailler pour vivre mieux. Si j’ai laissé mon pays loin, c’est pour fuir la misère et assurer un avenir digne à ma famille. Donc, je suis venu en France pour travailler et non pour me sacrifier.
J’ai travaillé dans le secteur du bâtiment entre 1970 et 1990, comme maçon dans différentes entreprises, dont Bâtiment Assainissement en 1970 à Aulnay-sous-Bois, au Comptoir des minéraux et matières premières.
Depuis 1990, je suis sans emploi.
Aujourd’hui je suis atteint d’un mésothéliome et je sais ce qu’il représente comme fardeau, avec des douleurs qui ont entraîné mon hospitalisation en 2003. Aujourd’hui, je vis avec cette maladie, après avoir donné le meilleur de moi-même au travail, sans protection et sans information sur les risques professionnels.
J’ai des douleurs, des essoufflements sans le moindre effort, des vertiges même en marchant sans forcer, des maux de tête, une sensibilité aux odeurs, aux bruits et à la vie en groupe, ce qui réduit la vie sociale et mon entourage. Je ne peux plus voir des amis et des gens de la famille comme et quand je veux. Pour les loisirs, là encore, rien à faire, faire du bricolage relève de l’exploit puisque ça devient une corvée. Au moindre effort j’ai les jambes qui tremblent.
Le plus délicat pour ma famille, c’est le changement de mon caractère, moi qui étais calme, je suis devenu facilement irritable, je m’emporte pour rien, ce qui est insupportable d’une part et d’autre part, c’est la difficulté pour tous les enfants de se faire à l’idée que cette maladie peut m’emporter à n’importe quel moment. C’est une épée de Damoclès qui pèse sur ma tête et que toute la famille appréhende gravement.
Comment vivre normalement avec ce cauchemar de maladie.
Le pire, c’est que même après mon départ ma famille souffrira encore à cause du mésothéliome.
Aujourd’hui je suis très amer, je croyais être venu en France pour travailler et vivre, or je découvre que le travail va finir par me tuer à cause de l’amiante. »
______________________
** Le prénom a été changé

S’il était permis de plaisanter sur des sujets touchant à la santé et à la vie humaine, on dirait sans hésiter qu’Henri Boumandil devrait figurer dans le Guiness des records. Atteint de deux maladies liées à l’amiante, des plaques pleurales et une asbestose, il a dû engager depuis 1987 un incroyable marathon judiciaire. Il était encore le 19 février devant la Cour d’appel de Paris.

« J’ai travaillé pendant 16 ans chez CEGELEC – Alstom, explique Henri, le secrétaire de l’Addeva 93. En 1987 j’ai eu des plaques pleurales liées à l’amiante. La Caisse primaire a refusé deux fois de reconnaître la maladie professionnelle. En 1997, j’ai contesté ces refus devant le Tass qui m’a débouté. En 2002, quinze ans après la première déclaration, à l’issue de onze audiences, la Cour d’appel de Paris m’a enfin donné gain de cause. La cour de cassation a rejeté le pourvoi d’Alstom. En 2005 j’ai fait condamner Cegelec pour faute inexcusable de l’employeur ».

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais, la même année, Henri a découvert qu’il avait une seconde maladie : après les plaques qui rigidifiaient la plèvre, est arrivée une asbestose, une fibrose du poumon proprement dit. « Cette fois-ci, la caisse primaire a reconnu sans difficulté la maladie en 2006. On pouvait espérer que le tribunal, qui avait déjà prononcé une condamnation, allait la confirmer pour cette seconde maladie. En fait, après avoir saisi le tribunal, j’ai attendu encore trois ans que l’affaire soit audiencée devant la Cour d’appel de Paris ! »

Le 19 février 2015, escorté d’une délégation de l’Addeva, Henri s’est rendu au Palais de Justice.

Une véritable partie de ping pong ! Quatre avocats représentant chacun une entité industrielle née des restructrurations successives de Cegelec sont intervenus. « Ils se sont livrés à une véritable partie de ping-pong, explique Henri. Chacun à son tour, ils ont tous juré que leur société n’avait aucune responsabilité dans cette affaire » « Les avocats de la partie adverse ont soutenu que je n’avais qu’une seule maladie dont l’aggravation avait déjà été payée, . L’asbestose et les plaques pleurales sont pourtant deux pathologies bien distinctes, l’une affectant le poumon, l’autre la plèvre qui l’enveloppe ». La Cour d’appel rendra sa décision le 16 avril.

Henri a cessé de compter les radios, les scanners, EFR, lavages broncho-alvéolaires qu’il a subis depuis le début de l’aventure. Il a 83 ans. Il est plus déterminé que jamais, mais il commence à trouver le temps long….

Qui d’autre qu’un militant associatif et syndical chevronné comme lui aurait pu suivre un tel parcours du combattant sans jamais se décourager ?


Article tiré du Bulletin de l’Andeva N°48 (avril 2015)


COLLOQUE ORGANISÉ PAR L’ANDEVA ET MESOCLIN,

LE 15 MARS AU MINISTERE DE LA SANTÉ A PARIS

"Cancers de l’amiante : écrire l’avenir Médecins et malades débattent et proposent"

ECOUTER L'INTERVENTION

J’ai été diagnostiqué « mésothéliome pleural » fin Septembre 2012, cela fait plus de 3 ans que je traîne cette maladie et j’espère bien que cela va trainer encore longtemps...

- J’espère que cela va traîner car j’ai vraiment envie de vivre encore longtemps la vie que je vis avec ma femme. Depuis le diagnostic, elle me soutient et m’aide à accepter ce qui nous arrive, à le rendre supportable. Chaque jour qui passe est un jour gagné sur la maladie, un jour qui nous rend heureux de l’avoir vécu.

- J’espère que cela va trainer, ne serait ce que pour toucher le plus longtemps possible mes indemnités. J’estime qu’elles sont dérisoires en regard des souffrances endurées par moi-même et par mes proches. Qu’on efface les souffrances, qu’on me rende la santé, et je rendrai toutes les indemnités.

A l’annonce du diagnostic, j’ai éprouvé deux sentiments :

- un sentiment d’urgence .Je vais mourir bientôt et j’ai plein de choses importantes à faire avant : régler ma situation administrative avant mon décès pour que ma femme n’ait pas à s’en occuper après. De fait, il a fallu plus de 2 ans et 2 commissions de réforme pour que mon cancer soit reconnu en « maladie professionnelle ». L’aide de l’ADDEVA 93 m’a été indispensable pour y parvenir. J’ai eu durant tout ce temps une impression de course contre la montre. Je pensais que ce sentiment d’urgence allait se dissiper avec le temps, mais il perdure au quotidien. Chaque projet, recevoir des amis, témoigner sur le mésothéliome, partir en vacances, est une étape, un pari à gagner, un pari pour la vie.

- J’ai ressenti aussi un sentiment de froide colère rentrée. Quels sont les maffieux qui m’ont rendu cancéreux ? Et pourquoi ? Pour du profit ! Si j’étais le seul ce serait déjà scandaleux, mais combien sommes-nous dans le monde à être victimes de cette pègre ? Je ressens une injustice insupportable en pensant que nos empoisonneurs jouissent paisiblement de leur crime. Cette froide colère m’accompagne, ne me quitte pas, et je crois qu’elle est indispensable à ma survie.

Depuis le diagnostic j’ai reçu des soins. Je sais que je suis bien soigné. J’ai la chance :
- de ne pas être constamment en chimiothérapie,
- de vivre encore plus de 3 ans après,
- de ne pas être né 50 ans plus tôt et de pouvoir profiter des progrès de la médecine,
- de ne pas être né en Afrique,
- d’avoir accès aux soins grâce à la Sécurité sociale, ce qui ne sera peut être pas le cas pour mes enfants.

Je suis bien soigné, et pourtant j’ai le sentiment qu’il faudrait en faire plus. C’est un sentiment diffus, que j’ai du mal à exprimer.

Quand j’émets des réserves mon médecin généraliste est perplexe : « mais vous êtes soigné à l’hôpital FOCH, et à l’IGR ! On ne peut pas faire mieux… ».

Quand je lui dis que je ne suis pas médecin, mais que, sur ma pathologie, je voudrais en savoir autant qu’un médecin. Il est perplexe : « mais qu’est-ce que ça peut vous faire puisque vous êtes bien soigné ! » Eh bien ça me fait ! J’ai l’impression que cela m’aiderait à vivre mieux ma maladie, à comprendre ce qui m’arrive, à ne plus subir passivement les soins, avec l’impression de n’avoir aucune prise personnelle sur ma maladie, alors que je désire être actif, adhérer à mon traitement plutôt que le subir. Je crois que cela m’aiderait à vivre mieux sans avoir le sentiment d’être un simple paquet.

Je parle aussi de ma toux avec mon généraliste. Une vieille toux explosive qui m’accompagne depuis des années, avec des paroxysmes de jour et de nuit, et parfois de brèves accalmies, elle me secoue les côtes, me donne mal à la tête, m’arrache les yeux et me colle les tympans. Lorsque je m’en plains, il me répond : « mais c’est normal, avec ce que vous avez … » Il n’empêche que - même si c’est normal - je voudrais bien en être débarrassé.

Le médecin qui me suit à l’hôpital Foch est très disponible, et en empathie. Mais j’ai l’impression qu’il en sait plus que moi sur mon état et je lui tends des pièges pour essayer d’accéder à son insu à son savoir. Peut-être y a-t-il aussi chez moi un barrage inconscient qui bloque ma compréhension des informations que je reçois. La première fois, quand le médecin m’a montré les images de mon scanner, j’ai interprété tous les petits ovales blancs que je voyais sur l’écran comme des tumeurs alors qu’il s’agissait de mes côtes, vues en coupe. Aujourd’hui, plus de 3 ans après, je suis toujours incapable de lire mon scanner et j’ai l’impression de ne rien savoir sur ce qui m’arrive.

Mon périple médical a d’ailleurs commencé par un scanner. J’attendais le résultat. Le radiologue a fait irruption dans la salle d’attente et m’a envoyé aussitôt aux urgences de l’hôpital FOCH où j’ai appris que je faisais une embolie pulmonaire bilatérale. J’ai passé 10 jours « au lit strict » en attendant que les anti-coagulant fassent effet. C’était fin Février 2012.

En juillet je toussais toujours, le pneumologue m’a prescrit un PET SCAN, puis une exploration en septembre. J’y suis allé sans préjugé. Je ne m’attendais pas à souffrir autant. Les échantillons sont partis chez les experts du groupe Mésopath de Caen. Le diagnostic est tombé : mésothéliome pleural. J’ai consulté sur Internet « doctissimo », « wikipedia » et autres sites. J’ai lu que le mésothéliome est un cancer rare et très douloureux, avec une mediane de survie de 9 à 12 mois. J’ai fermé l’ordinateur, j’ai songé à rédiger mes « directives anticipées » et fait un comparatif des offres de pompes funèbres.

En Octobre, j’ai subi une radiothérapie à l’endroit des incisions pour l’exploration, et deux interventions : l’une pour implanter une chambre d’injection, l’autre pour extraire l’épanchement pleural. Tout cela m’a littéralement labouré le thorax.

Puis ce fut ma première chimiothérapie : ALIMTA/CARBO PLATINE. J’en garde le souvenir d’une surexcitation insupportable, d’une difficulté à me nourrir à cause des aphtes qui rendaient chaque déglutition douloureuse. Ensuite, je suis resté 6 mois sans traitement. C’était inespéré. Ma femme et moi, nous sommes partis de la consultation de l’hôpital avec la bonne nouvelle, comme de collégiens partent en récréation. En rentrant de vacances, le scanner n’était pas bon, il fallait reprendre le traitement, à nouveau ALIMTA/CARBO PLATINE. Cette chimio ne répondait plus, il fallait en changer et passer à la NAVELBINE qui, elle aussi, ne répondait pas.

On m’a alors proposé de rentrer comme volontaire dans un essai clinique intitulé MEDIMMUNE, en l’immunothérapie, qui se tenait avec l’IGR en tant que centre expert. J’ai accepté avec enthousiasme. Avant l’inclusion dans l’essai clinique J’ai signé très rapidement sur le bureau du médecin investigateur le « consentement éclairé », un document de 37 pages. Revenu à la maison, le l’ai étudié attentivement avec ma femme et je n’ai pas remis ma signature en question.

A l’IGR devant la foule des patients dans les salles d’attente, j’ai compris la vraie valeur du mot « patient » quand on est malade. Il me reste si peu de temps à vivre, et ce temps je le perds à attendre. J’aurais aussi souhaité une meilleure coordination entre l’IGR l’hôpital FOCH.

A l’IGR mes relations avec le médecin investigateur et son infirmière attachée de recherche ont été excellentes. Mais l’infirmière s’est étonnée quand je lui ai demandé s’il était possible de rencontrer d’autres volontaires de l’essai clinique qui en exprimeraient le souhait, pour échanger sur notre vécu et nous soutenir mutuellement. Cela n’a pas été possible. Des structures comme « l’espace de rencontre et d’information », le « comité de patient » ou la « coordination des relations patients » ne me convenaient pas vraiment. Je désirais une intervention précise sur la question de l’amiante. Je crois que les pathologies de l’amiante ont une spécificité qui nourrit une cohésion entre les victimes qui en sont atteintes et leurs proches. Un jour, en sortant d’une prise de sang au laboratoire, je pestais à haute voix contre les difficultés pour faire reconnaître ma maladie professionnelle. La Directrice est sortie de son bureau et m’a dit : « je vous comprends : mon père est décédé il y a 3 ans d’un mésothéliome ». C’est une véritable communauté qu’il faudrait constituer entre ceux qui partagent le même vécu.

Pour l’essai clinique, j’ai reçu 3 injections sur 6 de TREMELIMUMAB. La première s’est bien passée. La seconde fut invivable : je fus assailli par un prurit de jour et surtout de nuit m’empêchant de dormir. La troisième fut encore pire, avec une diarrhée apocalyptique. Il a fallu arrêter car je risquais une péritonite due aux effets secondaires.

A la dernière consultation à l’IGR le médecin m’a prescrit du PREDNISOLONE pour « nettoyer tout ça ». L’ordonnance énonce bien que je dois arrêter progressivement le traitement. Mais, à cette période, je saturais des prises médicamenteuses. Dès que les douleurs ont cessé et que je me suis senti mieux, j’ai stoppé inconsidérément le traitement. Résultat : mes surrénales ne fonctionnent plus, je suis sans doute abonné quotidiennement à l’ HYDROCORTISONE pour le reste de ma vie.

J’ai été exclu de cet essai clinique le 29 décembre 2014. Plus d’un an a passé, et je suis sans traitement. Sans traitement contre le cancer ne veut pas dire sans médicaments : j’ai une piqure d’INNOHEP quotidienne, et 30 mg en 3 fois d’HYDROCORTISONE par jour. Sans traitement ne veut pas dire non plus sans anxiété, sans anxiété que progresse la maladie, sans anxiété que reprennent les chimiothérapies.

Plus d’un an a passé. Je n’ai reçu qu’un appel téléphonique d’une personne de l’IGR que je ne connaissais pas, au sujet du suivi des volontaires. C’est tout. Je n’ai aucune nouvelle de l’évolution, et des progrès de l’essai clinique MEDIMMUNE. Cette situation me donne l’impression d’être un rat, un rat que l’on sort de sa cage, et que l’on remet dedans.

Je suis adhérent de l’ADDEVA 93. Je suis intervenu en tant que représentant de mon association auprès de l’IGR, durant mon parcours de soins, pour formuler des propositions. Nous avons proposé une réunion de travail entre les responsables du centre expert MESOCLIN et les associations de victimes de l’amiante en Ile -de-France. Nous souhaitions aussi proposer aux patients engagés dans l’essai clinique MEDIMUNNE une rencontre s’ils la souhaitaient. Notre lettre a été envoyée en janvier 2015. Elle est toujours sans réponse.

Je viens de témoigner, longuement, de mon vécu. Je voudrais aussi parler de l’insuffisance de mon savoir sur ma maladie et de ma maîtrise des thérapies.

Mon savoir est parcellaire et expérimental. Je pense que des rencontre entre patients vivant les mêmes situations seraient très enrichissantes, et participeraient à leur éducation thérapeutique. Je pense que les patients victimes d’une pathologie de l’amiante, sont des cancéreux spécifiques, car ils ont presque toujours été contaminés dans leur travail et exposés sciemment mais à leur insu. Ma maîtrise des thérapies, je la ressens comme nulle. Je n’ai aucune idée de ce que peut être l’arsenal thérapeutique. Ce ne serait sans doute pas le cas s’il y avait des rencontres entre patients.

Pour finir, je voudrais citer Jean Genêt : « nous n’avions pas fini de nous parler d’amour, nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes » écrit-il dans le poème intitulé « le condamné à mort ». Ce poème me parle et me donne envie de prolonger la partie.

Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui participer à cette rencontre. Mon témoignage est bien sûr porteur d’une vérité subjective et individuelle. Mais j’espère qu’il pourra contribuer à une meilleure une compréhension et une meilleure approche du vécu et des souhaits des malades qui ont un MESOTHELIOME PLEURAL.


Voir le programme du Colloque et les autres interventions sur le site de l'Andeva