Vincennes, le 27 avril 2015
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Une nouvelle stratégie judiciaire des industriels de l’amiante
Responsables de milliers de morts, condamnées des centaines de fois pour « faute inexcusable de l’employeur » par des tribunaux civils, Eternit et Latty ont mis en cause la responsabilité de l’Etat et obtenu que la moitié des indemnisations versées aux victimes soient payées par les contribuables !
Ces affaires seront rejugées en appel. L’Andeva intervient dans cet appel contre ces deux sociétés. Elle souligne la gravité des enjeux pour l’ensemble des maladies professionnelles et des accidents du travail.
Pendant des décennies, les industriels de l’amiante-ciment ont exposé sciemment des ouvriers à un risque mortel. Condamnées de manière définitive en faute inexcusable, elles ont saisi des tribunaux administratifs pour demander un remboursement par l’Etat de la moitié des indemnisations versées aux victimes !
Elles fondent leur demande sur des arrêts rendus en 2004 par le conseil d’Etat qui avait reconnu la responsabilité de l’Etat, suite à l’action engagée devant la juridiction administrative par une avocate qui avait voulu faire indemniser les victimes par l’Etat au lieu de faire condamner l’employeur pour faute inexcusable.
A deux reprises, les tribunaux administratifs leur ont donné gain de cause :
Le 27 mai 2014 le tribunal administratif d’Orléans a condamné l’Etat à verser un capital de 127 300 euros et une somme mensuelle de 3600 euros à la société Latty International pendant 6 ans. La faute inexcusable de ce dernier avait été reconnue par le Tass de Chartres et la cour d’appel de Versailles.
Le 6 novembre 2014, le tribunal administratif de Versailles a condamné l’Etat à rembourser à la société Eternit : 13 000 euros pour deux personnes atteintes d’une fibrose (diagnostiquée en 2001 et 2003) ainsi que 160 000, 63500 et 70500 euros pour les familles de trois ouvriers décédés de maladies liées à l’amiante en 2005 et 2008. Il a jugé que « l’Etat et la société ECCF [venant aux droits d’Eternit] ont également et directement concouru pour moitié au développement de la maladie professionnelle », La faute d’ECCF avait été reconnue par le Tass de Valenciennes et la cour d’appel de Douai ainsi que par le Tass et la cour d’appel de Rennes.
Les deux sociétés se sont bien gardées d’informer les victimes et les familles concernées de ces procédures honteuses, engagées en catimini au cours des années 2011 à 2014.
« Une atteinte à la mémoire de nos morts »
Apprenant les remboursements obtenus par Eternit, les adhérents du Caper Bourgogne réunis en assemblée générale ont manifesté leur indignation : « Ce jugement est un véritable scandale et porte atteinte à la mémoire de nos morts puisque cela revient à faire financer par les familles des défunts en tant que contribuables les dommages et intérêts qui leur ont été accordés ».
Eternit a empoisonné non seulement ses salariés mais aussi leur famille. Ainsi Zoé Salard, épouse d’un salarié d’Eternit Caronte, est décédée d’un mésothéliome parce qu’elle lavait les bleus de son mari dont la société refusait d’assurer le nettoyage. Reconnue responsable, la société a été condamnée.
Il est humainement intolérable et juridiquement irrecevable de voir ces empoisonneurs dénoncer aujourd’hui les insuffisances d’une réglementation qu’ils n’ont jamais respectée, malgré de multiples mises en demeure, dans ces usines d’amiante-ciment où ils ont fait travailler des ouvriers dans des nuages de poussières cancérogènes, sans les informer ni les protéger.
L’Andeva intervient en appel contre Latty pour le procès en appel. Elle le fera aussi contre Eternit. Elle entend faire valoir le fait que ces sociétés ne peuvent invoquer l'insuffisance de la réglementation existante, dès lors qu'elles ne l'ont même pas respectée et qu’elles ont bafoué le Code du Travail.
Les enjeux de ces procédures sont énormes. Elles ne concernent pas seulement des victimes de ces deux sociétés. Latty demande en effet à la Cour administrative d’appel de Nantes de « préciser pour la première fois les conditions de mise en œuvre du partage de responsabilité entre l’Etat et les entreprises du secteur de l’amiante ». Cette demande concerne donc à minima toutes les maladies professionnelles liées à l’amiante. Mais la même demande de remboursement pourrait – avec les mêmes arguments – s’appliquer à l’ensemble des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle introduit un bouleversement complet dans le système de réparation des victimes du travail. Leur indemnisation de base n’est en effet pas à la charge de l’employeur du salarié malade ou accidenté. Elle est mutualisée et mise à la charge de la collectivité des employeurs. C’est seulement si la victime (ou ses ayants droit) démontrent en justice l’existence d’une faute que l’employeur indemnise les dommages qu’il a causés. Ce que demandent Eternit et Latty, c’est une exonération de moitié de cette petite contribution, en contradiction flagrante avec la volonté du législateur.
Si cette jurisprudence était confirmée en appel et en cassation, des milliers d’employeurs condamnés demanderaient à leur tour une ristourne de 50% sur les conséquences financières de leurs fautes. Cela réduirait fortement l’incitation à la prévention que constitue la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur.
L’ANDEVA et ses associations locales demandent que la voix des victimes et de leurs représentants soit entendue et qu’elles puissent rétablir la vérité des faits devant les cours administratives d’appel. Elles alerteront les pouvoirs publics et les élus sur la gravité de la situation.