COMMUNIQUE DE PRESSE
Vincennes, le 14 avril 2015
LE SECOND SCANDALE DE L'AMIANTE :
La faillite de l'institution judiciaire
Après 19 ans d'instruction, la Cour de Cassation a rejeté, dans le dossier « Condé sur Noireau », le pourvoi des victimes de l'amiante contre l'annulation de la mise en examen de responsables de la direction des relations au travail (Martine Aubry, Olivier Dutheillet de Lamothe et Jean-Luc Pasquier) et des principaux membres du Comité Permanent Amiante, la structure de lobbying des industriels de l'amiante, qui s'est opposée avec succès à la mise en place d'une réglementation de protection efficace contre le risque lié à l'amiante.
La cour de cassation valide ainsi l'argument de la Cour d'appel selon lequel dans le contexte des données scientifiques de l’époque, les personnes mises en examen pouvaient ne pas mesurer le risque d’une particulière gravité auquel les victimes étaient exposées.
Ceci est tout simplement faux ! Les éléments présents au dossier démontrent de façon absolument certaine le contraire : ainsi, pour ne citer qu’un exemple, dès 1981, Jean-Luc Pasquier produisait une note au ministre indiquant explicitement que la réglementation en vigueur ne protégeait pas les salariés du cancer et qu'il fallait au minimum diviser par dix les valeurs limites d'exposition pour espérer les protéger ! Cette décision constitue sans doute le second scandale de l’amiante et consacre la faillite de l'institution judiciaire en matière d'amiante et plus généralement en matière de santé publique.
De ce point de vue, la magistrature est sur la même ligne que le personnel politique qui, quelle que soit sa couleur, n’a jamais été favorable à un procès pénal de l’amiante car il signifie l’examen de la responsabilité de décideurs.
Depuis 19 ans que la première plainte a été déposée, le pouvoir exécutif a utilisé toutes les ficelles que la procédure met à sa disposition pour retarder ou empêcher la tenue d’un procès pénal de l’amiante qui aurait permis d’apprécier et de juger l’ensemble des responsabilités de cette catastrophe sanitaire.
Aujourd’hui, avec cette décision de la Cour de cassation, le monde judiciaire emboite le pas du politique, au prix d’un argument fallacieux : l’absence de connaissances scientifiques. Il fallait bien en trouver un qui soit difficilement appréciable par l’opinion. Mais la véritable motivation, elle, est bien là : en France, la société ne veut pas juger la responsabilité de dirigeants qu’ils soient politiques, administratifs ou industriels. C’est maintenant un fait.
En 2000, l’Andeva, le Comité anti amiante Jussieu et la Fnath, avec d’autres associations de victimes, avaient mené la bagarre contre l’adoption de la loi Fauchon sur les délits non intentionnels. Nous avions dénoncé à l’époque que cette loi ne visait, ni plus ni moins, qu’à amnistier par avance la responsabilité des auteurs indirects d’homicide ou de blessures involontaires. Donc les dirigeants, ceux qui décident, ordonnent, organisent, décrètent…
L'affaire de l'amiante montre les conséquences grotesques de cette loi. Seuls pourront être jugés, les directeurs d'usine et petits chefs d'entreprises qui ont violé la réglementation ! Mais comment peut-on sérieusement penser qu'une catastrophe sanitaire qui fait plus de 100 000 morts pourrait être seulement due au fait que, par une série de milliers de coïncidences, les directeurs d'usine et petits chefs d'entreprises ont partout en France violé la réglementation ?
Aujourd’hui, pour la Fnath, le comité anti-amiante Jussieu et l’Andeva, la véritable nature de la loi Fauchon éclate au grand jour : elle n'exonère pas seulement les décideurs, elle empêche tout examen des véritables responsabilités dans les catastrophes sanitaires.
Avec la décision de la Cour de cassation, le temps est venu d’interpeller le parlement et le Chef de l’Etat pour réviser cette loi qui empêche de tirer les leçons de telles catastrophes pourtant évitables si les décideurs avaient rempli leurs missions.
Autant on peut imaginer, qu’à l’issue d’un procès, on condamne ou pas les responsables en fonction d’un certain nombre de circonstances examinées à l’audience, à l’issue de débats contradictoires, autant dans une démocratie digne de ce nom, il est inconcevable que l’on refuse a priori l'examen des responsabilités.