La table ronde sur le pénal fut animée par François Desriaux, vice-président de l’Andeva. Elle réunissait Marie-Odile Bertella-Geffroy, ancienne juge d’instruction en charge du dossier amiante au pôle de santé publique de Paris, Rafaelle Guariniello, ancien procureur de Turin en charge du dossier des usines Eternit italiennes, Christian Hutin, député du Nord et président du groupe parlementaire amiante à l’Assemblée nationale et nos avocats Jean-Paul Teissonnière et Michel Ledoux.
Michel Ledoux rappelle la « plainte fondamentale » déposée il y a 22 ans. Il souligne la responsabilité des industriels, des décideurs politiques et des lobbyistes du « Comité permanent amiante ».
Dans le dossier de Condé-sur-Noireau, les mises en examen des principaux responsables ont été annulées. Il ne reste plus que les chefs d’établissements. Le médecin du travail de Condé devient un simple témoin assisté alors qu’il était mis en examen pour non assistance à personnes en danger. Des non-lieu risquent de tomber, au motif fallacieux qu’il serait impossible de dater la contamination et donc « d’imputer la faute à quiconque ».
Jean-Claude Barbé, un ancien de Valéo dit l’indignation des nombreuses victimes devant ces « décisions de justice » incompréhensibles.
Jean-Paul Teissonnière évoque le dossier Amisol. La lutte a débuté dans les années 70. Après plusieurs ordonnances de non-lieu et 3 pourvois en cassation, on ignore toujours quelle sera l’issue. Les difficultés juridiques et politiques se sont accumulées.
Le dossier des suicides à France Télécom avance. Les dirigeants ont utilisé des méthodes destructrices pour faire partir des salariés. Lombart, le PDG, a été mis en examen.
Pourquoi de tels obstacles pour l’amiante ?
Mme Marie Odile Bertella-Geffroy a été juge d’instruction pendant dix ans au pôle judiciaire de Santé publique. Pour l’amiante, il y a un frein de nature politique. La volonté n’est pas de faciliter l’instruction mais de tout faire pour l’empêcher.
En Italie, la justice semble plus indépendante et le procureur Guariniello a eu les moyens humains et financiers pour mener l’instruction des dossiers à terme.
Motiver un non-lieu par l’impossibilité de « dater l’intoxication » et donc « d’imputer la faute à quiconque » est une aberration.
Raffaele Guariniello relève des différences :
En France, il n’y a pas eu de procès pénal.
En Italie des industriels ont été jugés coupables en première instance et en appel. La Cour de cassation a considéré que l’action était prescrite, sans pour autant les disculper.
En Italie, contrairement à la France, le Ministère public est indépendant du pouvoir et l’engagement de poursuites pénales est une obligation et non une opportunité.
En Italie comme en France, il y a des difficultés : la Cour de cassation italienne a changé de cap en 2017. Dans ses arrêts du 3 février 2017 et du 5 juin 2018, elle a fait bénéficier la société Pirelli d’un non-lieu.
L’Italie devrait se doter d’une organisation judiciaire analogue au pôle de Santé publique, à condition qu’elle soit véritablement indépendante vis-à-vis du pouvoir politique.
Les juges devraient suivre l’évolution des connaissances scientifiques et vérifier l’impartialité des experts, notamment l’absence de conflit d’intérêt.
Enfin, il faut voter une loi précisant qu’un dossier pénal ne saurait être frappé de prescription tant qu’un produit dangereux continue à causer des victimes.
Christian Hutin estime que si la loi empêche de poursuivre les auteurs d’une catastrophe sanitaire, il faut changer la loi.
Pour lui, le climat politique actuel n’est pas favorable à des avancées. Le message adressé aux victimes est : « Mourez tranquillement et le combat cessera faute de combattants ! »
La loi sur le secret des affaires fait peser une menace sur les lanceurs d’alertes et les journalistes. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juin dernier.