COLLOQUE ORGANISÉ PAR L’ANDEVA ET MESOCLIN,

LE 15 MARS AU MINISTERE DE LA SANTÉ A PARIS

"Cancers de l’amiante : écrire l’avenir Médecins et malades débattent et proposent"

ECOUTER L'INTERVENTION

J’ai été diagnostiqué « mésothéliome pleural » fin Septembre 2012, cela fait plus de 3 ans que je traîne cette maladie et j’espère bien que cela va trainer encore longtemps...

- J’espère que cela va traîner car j’ai vraiment envie de vivre encore longtemps la vie que je vis avec ma femme. Depuis le diagnostic, elle me soutient et m’aide à accepter ce qui nous arrive, à le rendre supportable. Chaque jour qui passe est un jour gagné sur la maladie, un jour qui nous rend heureux de l’avoir vécu.

- J’espère que cela va trainer, ne serait ce que pour toucher le plus longtemps possible mes indemnités. J’estime qu’elles sont dérisoires en regard des souffrances endurées par moi-même et par mes proches. Qu’on efface les souffrances, qu’on me rende la santé, et je rendrai toutes les indemnités.

A l’annonce du diagnostic, j’ai éprouvé deux sentiments :

- un sentiment d’urgence .Je vais mourir bientôt et j’ai plein de choses importantes à faire avant : régler ma situation administrative avant mon décès pour que ma femme n’ait pas à s’en occuper après. De fait, il a fallu plus de 2 ans et 2 commissions de réforme pour que mon cancer soit reconnu en « maladie professionnelle ». L’aide de l’ADDEVA 93 m’a été indispensable pour y parvenir. J’ai eu durant tout ce temps une impression de course contre la montre. Je pensais que ce sentiment d’urgence allait se dissiper avec le temps, mais il perdure au quotidien. Chaque projet, recevoir des amis, témoigner sur le mésothéliome, partir en vacances, est une étape, un pari à gagner, un pari pour la vie.

- J’ai ressenti aussi un sentiment de froide colère rentrée. Quels sont les maffieux qui m’ont rendu cancéreux ? Et pourquoi ? Pour du profit ! Si j’étais le seul ce serait déjà scandaleux, mais combien sommes-nous dans le monde à être victimes de cette pègre ? Je ressens une injustice insupportable en pensant que nos empoisonneurs jouissent paisiblement de leur crime. Cette froide colère m’accompagne, ne me quitte pas, et je crois qu’elle est indispensable à ma survie.

Depuis le diagnostic j’ai reçu des soins. Je sais que je suis bien soigné. J’ai la chance :
- de ne pas être constamment en chimiothérapie,
- de vivre encore plus de 3 ans après,
- de ne pas être né 50 ans plus tôt et de pouvoir profiter des progrès de la médecine,
- de ne pas être né en Afrique,
- d’avoir accès aux soins grâce à la Sécurité sociale, ce qui ne sera peut être pas le cas pour mes enfants.

Je suis bien soigné, et pourtant j’ai le sentiment qu’il faudrait en faire plus. C’est un sentiment diffus, que j’ai du mal à exprimer.

Quand j’émets des réserves mon médecin généraliste est perplexe : « mais vous êtes soigné à l’hôpital FOCH, et à l’IGR ! On ne peut pas faire mieux… ».

Quand je lui dis que je ne suis pas médecin, mais que, sur ma pathologie, je voudrais en savoir autant qu’un médecin. Il est perplexe : « mais qu’est-ce que ça peut vous faire puisque vous êtes bien soigné ! » Eh bien ça me fait ! J’ai l’impression que cela m’aiderait à vivre mieux ma maladie, à comprendre ce qui m’arrive, à ne plus subir passivement les soins, avec l’impression de n’avoir aucune prise personnelle sur ma maladie, alors que je désire être actif, adhérer à mon traitement plutôt que le subir. Je crois que cela m’aiderait à vivre mieux sans avoir le sentiment d’être un simple paquet.

Je parle aussi de ma toux avec mon généraliste. Une vieille toux explosive qui m’accompagne depuis des années, avec des paroxysmes de jour et de nuit, et parfois de brèves accalmies, elle me secoue les côtes, me donne mal à la tête, m’arrache les yeux et me colle les tympans. Lorsque je m’en plains, il me répond : « mais c’est normal, avec ce que vous avez … » Il n’empêche que - même si c’est normal - je voudrais bien en être débarrassé.

Le médecin qui me suit à l’hôpital Foch est très disponible, et en empathie. Mais j’ai l’impression qu’il en sait plus que moi sur mon état et je lui tends des pièges pour essayer d’accéder à son insu à son savoir. Peut-être y a-t-il aussi chez moi un barrage inconscient qui bloque ma compréhension des informations que je reçois. La première fois, quand le médecin m’a montré les images de mon scanner, j’ai interprété tous les petits ovales blancs que je voyais sur l’écran comme des tumeurs alors qu’il s’agissait de mes côtes, vues en coupe. Aujourd’hui, plus de 3 ans après, je suis toujours incapable de lire mon scanner et j’ai l’impression de ne rien savoir sur ce qui m’arrive.

Mon périple médical a d’ailleurs commencé par un scanner. J’attendais le résultat. Le radiologue a fait irruption dans la salle d’attente et m’a envoyé aussitôt aux urgences de l’hôpital FOCH où j’ai appris que je faisais une embolie pulmonaire bilatérale. J’ai passé 10 jours « au lit strict » en attendant que les anti-coagulant fassent effet. C’était fin Février 2012.

En juillet je toussais toujours, le pneumologue m’a prescrit un PET SCAN, puis une exploration en septembre. J’y suis allé sans préjugé. Je ne m’attendais pas à souffrir autant. Les échantillons sont partis chez les experts du groupe Mésopath de Caen. Le diagnostic est tombé : mésothéliome pleural. J’ai consulté sur Internet « doctissimo », « wikipedia » et autres sites. J’ai lu que le mésothéliome est un cancer rare et très douloureux, avec une mediane de survie de 9 à 12 mois. J’ai fermé l’ordinateur, j’ai songé à rédiger mes « directives anticipées » et fait un comparatif des offres de pompes funèbres.

En Octobre, j’ai subi une radiothérapie à l’endroit des incisions pour l’exploration, et deux interventions : l’une pour implanter une chambre d’injection, l’autre pour extraire l’épanchement pleural. Tout cela m’a littéralement labouré le thorax.

Puis ce fut ma première chimiothérapie : ALIMTA/CARBO PLATINE. J’en garde le souvenir d’une surexcitation insupportable, d’une difficulté à me nourrir à cause des aphtes qui rendaient chaque déglutition douloureuse. Ensuite, je suis resté 6 mois sans traitement. C’était inespéré. Ma femme et moi, nous sommes partis de la consultation de l’hôpital avec la bonne nouvelle, comme de collégiens partent en récréation. En rentrant de vacances, le scanner n’était pas bon, il fallait reprendre le traitement, à nouveau ALIMTA/CARBO PLATINE. Cette chimio ne répondait plus, il fallait en changer et passer à la NAVELBINE qui, elle aussi, ne répondait pas.

On m’a alors proposé de rentrer comme volontaire dans un essai clinique intitulé MEDIMMUNE, en l’immunothérapie, qui se tenait avec l’IGR en tant que centre expert. J’ai accepté avec enthousiasme. Avant l’inclusion dans l’essai clinique J’ai signé très rapidement sur le bureau du médecin investigateur le « consentement éclairé », un document de 37 pages. Revenu à la maison, le l’ai étudié attentivement avec ma femme et je n’ai pas remis ma signature en question.

A l’IGR devant la foule des patients dans les salles d’attente, j’ai compris la vraie valeur du mot « patient » quand on est malade. Il me reste si peu de temps à vivre, et ce temps je le perds à attendre. J’aurais aussi souhaité une meilleure coordination entre l’IGR l’hôpital FOCH.

A l’IGR mes relations avec le médecin investigateur et son infirmière attachée de recherche ont été excellentes. Mais l’infirmière s’est étonnée quand je lui ai demandé s’il était possible de rencontrer d’autres volontaires de l’essai clinique qui en exprimeraient le souhait, pour échanger sur notre vécu et nous soutenir mutuellement. Cela n’a pas été possible. Des structures comme « l’espace de rencontre et d’information », le « comité de patient » ou la « coordination des relations patients » ne me convenaient pas vraiment. Je désirais une intervention précise sur la question de l’amiante. Je crois que les pathologies de l’amiante ont une spécificité qui nourrit une cohésion entre les victimes qui en sont atteintes et leurs proches. Un jour, en sortant d’une prise de sang au laboratoire, je pestais à haute voix contre les difficultés pour faire reconnaître ma maladie professionnelle. La Directrice est sortie de son bureau et m’a dit : « je vous comprends : mon père est décédé il y a 3 ans d’un mésothéliome ». C’est une véritable communauté qu’il faudrait constituer entre ceux qui partagent le même vécu.

Pour l’essai clinique, j’ai reçu 3 injections sur 6 de TREMELIMUMAB. La première s’est bien passée. La seconde fut invivable : je fus assailli par un prurit de jour et surtout de nuit m’empêchant de dormir. La troisième fut encore pire, avec une diarrhée apocalyptique. Il a fallu arrêter car je risquais une péritonite due aux effets secondaires.

A la dernière consultation à l’IGR le médecin m’a prescrit du PREDNISOLONE pour « nettoyer tout ça ». L’ordonnance énonce bien que je dois arrêter progressivement le traitement. Mais, à cette période, je saturais des prises médicamenteuses. Dès que les douleurs ont cessé et que je me suis senti mieux, j’ai stoppé inconsidérément le traitement. Résultat : mes surrénales ne fonctionnent plus, je suis sans doute abonné quotidiennement à l’ HYDROCORTISONE pour le reste de ma vie.

J’ai été exclu de cet essai clinique le 29 décembre 2014. Plus d’un an a passé, et je suis sans traitement. Sans traitement contre le cancer ne veut pas dire sans médicaments : j’ai une piqure d’INNOHEP quotidienne, et 30 mg en 3 fois d’HYDROCORTISONE par jour. Sans traitement ne veut pas dire non plus sans anxiété, sans anxiété que progresse la maladie, sans anxiété que reprennent les chimiothérapies.

Plus d’un an a passé. Je n’ai reçu qu’un appel téléphonique d’une personne de l’IGR que je ne connaissais pas, au sujet du suivi des volontaires. C’est tout. Je n’ai aucune nouvelle de l’évolution, et des progrès de l’essai clinique MEDIMMUNE. Cette situation me donne l’impression d’être un rat, un rat que l’on sort de sa cage, et que l’on remet dedans.

Je suis adhérent de l’ADDEVA 93. Je suis intervenu en tant que représentant de mon association auprès de l’IGR, durant mon parcours de soins, pour formuler des propositions. Nous avons proposé une réunion de travail entre les responsables du centre expert MESOCLIN et les associations de victimes de l’amiante en Ile -de-France. Nous souhaitions aussi proposer aux patients engagés dans l’essai clinique MEDIMUNNE une rencontre s’ils la souhaitaient. Notre lettre a été envoyée en janvier 2015. Elle est toujours sans réponse.

Je viens de témoigner, longuement, de mon vécu. Je voudrais aussi parler de l’insuffisance de mon savoir sur ma maladie et de ma maîtrise des thérapies.

Mon savoir est parcellaire et expérimental. Je pense que des rencontre entre patients vivant les mêmes situations seraient très enrichissantes, et participeraient à leur éducation thérapeutique. Je pense que les patients victimes d’une pathologie de l’amiante, sont des cancéreux spécifiques, car ils ont presque toujours été contaminés dans leur travail et exposés sciemment mais à leur insu. Ma maîtrise des thérapies, je la ressens comme nulle. Je n’ai aucune idée de ce que peut être l’arsenal thérapeutique. Ce ne serait sans doute pas le cas s’il y avait des rencontres entre patients.

Pour finir, je voudrais citer Jean Genêt : « nous n’avions pas fini de nous parler d’amour, nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes » écrit-il dans le poème intitulé « le condamné à mort ». Ce poème me parle et me donne envie de prolonger la partie.

Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui participer à cette rencontre. Mon témoignage est bien sûr porteur d’une vérité subjective et individuelle. Mais j’espère qu’il pourra contribuer à une meilleure une compréhension et une meilleure approche du vécu et des souhaits des malades qui ont un MESOTHELIOME PLEURAL.


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