Le 7 juin 2023, la cour d’assises de Novare a reconnu l’industriel suisse Stephan Schmidheiny, ex-propriétaire des usines d’amiante-ciment Eternit de Casale Monferrato, coupable d’homicide involontaire aggravé et l’a condamné à 12 ans de prison, 100 millions d’euros à verser aux parties civiles et interdiction d’exercer toute charge publique en Italie pendant 5 ans. Les procureurs avaient requis la réclusion à perpétuité.

La condamnation du milliardaire suisse a été saluée par les associations de victimes du monde entier qui ont envoyé des mails de félicitations à l’AFeVA, fer de lance de ce combat exemplaire. Cette première victoire reste à confirmer en appel et en cassation. Encore une montagne à gravir ! 

L’acte d’accusation initial pointait la responsabilité de Schmidheiny dans l’homicide volontaire de 392 victimes de l’amiante décédées d’un mésothéliome. La Cour d’assises de Novare a requalifié les faits en homicide involontaire aggravé.

Cette requalification n’efface pas la responsabilité de Schmidheiny, mais - dans l’état actuel de Code pénal italien - elle aboutit à déclarer prescrits tous les décès survenus il y a plus de 15 ans (199 sur 392). L’AFeVA demande au législateur de corriger cette injustice.

En direct de Novare

Il est 18 heures  47, lorsque le président de la Cour d’assises de Novare, Gianfranco Pezone, après sept heures et quart de délibérations, revient dans la salle d’audience pour donner lecture du verdict.

Des noms et des visages

Sa voix, altérée par la tension et la fatigue, rompt le silence de cette grande salle où se pressent  des magistrats, des avocats, des familles de victimes, des militants, des journalistes, des étudiants...

Tous debout, ils l’écoutent égrener, un par un, les noms des 392 victimes tuées par l’amiante d’Eternit.Casale est une pette ville où tout le monde se connaît.
Chaque nom prononcé  fait ressurgir le visage d’un être aimé, d’un ami ou d’une connaissance dont l’amiante a brisé la vie. La liste semble interminable.

Giovanna Busto, la présidente de l’AFeVA, dont le frère a été emporté à 33 ans par un mésothéliome, ne peut retenir ses larmes. 

Coupable !

C’est en entendant répéter le mot « coupable» que Giuliana commence à mesurer la portée de ce jugement : le tribunal a reconnu la responsabilité de l’accusé. Le but essentiel est atteint.

« Enfin, un juge a donné un nom et un prénom à la tragédie de Casale Monferrato», dit le procureur Gianfranco Colace. après la lecture du jugememnt. « Maintenant nous savons que la personne responsable est l’accusé que nous avons traduit en justice». «Nous sommes satisfaits de notre travail, nous avions apporté une quantité impressionnante de preuves.»

Répondant à un journaliste, pour la CGIL et l’AFeVA, Bruno Pondrano note que la Cour a infligé trois condamnations à Schmidheiny : la prison, l’interdiction d’occuper une charge publique en Italie pendant 5 ans, et 100 millions d’indemnités provisionnelles pour les parties civiles. Notamment 50 millions d’euros à la Ville de Casale, 30 millions à la Présidence du Conseil des Ministres et 500 000 euros à l’association AFeVA (la somme exacte réclamée par son avocate Laura d’Amico). Nicola conclut : « J’ai une approche positive de ce jugement. »

Bruno Pesce, figure historique de l’AFeVA,  estime que « cette condamnation  en première instance est très importante. Si elle est confirmée en  appel et en cassation, elle prendra  valeur d’exemple au niveau international. Nous aurons gravi une montagne, que personne avant nous n’avait franchie. Mais cette condamnation n’a été obtenue que par une minorité des plaignants. La majorité des cas ont été déclarés prescrits.

Ce problème ne se serait pas posé si le chef d’accusation initial (« homicide volontaire avec intention délictueuse ») avait été maintenu. Mais la Cour d’Assises l’a requalifié en « homicide involontaire avec circonstances aggravantes ». Dans l’état actuel du  Code pénal italien, cela  exclut toutes les personnes dont le décès est intervenu il y a plus de 15 ans, même si la culpabilité de Schmidheiny est reconnue.

Les milliers de morts de l’amiante, les centaines de millions de dégâts environnementaux, le travail énorme des juges... tout cela a été jugé prescrit pour la majorité des plaignants !

Le législateur doit intervenir.»

Tous les plaignants ne sont pas logés à la même enseigne.

1) La triple condamnation de Schmidheiny a été obtenue pour 147 décès jugés recevables.

2) 199 décès, survenus il y a plus de 15 ans, ont été jugés prescrits.

3) Pour 46 décès, la Cour a prononcé une relaxe.
Les motivations du jugement ne sont pas encore connues. La Cour a 90 jours pour les publier.

Certains cas de relaxe seront sans doute motivés par des diagnostics jugés incertains ou une période d’exposition jugée imprécise.

Les avocats de Schmidheiny  ont contesté systématiquement tous les diagnostics posés sans examen anatomopathologique.

Ils ont aussi centré leurs contestations sur les cas de contaminations environnementales (qui constituent la majorité des dossiers de ce procès).

On y  verra plus clair quand les motivations seront publiées. ll faudra les étudier de très près.

Un empoisonneur devenu champion du développement durable

Schmidheiny vit au Costa Rica. Il n’a assisté à aucune des 42 audiences du procès. Une chaise vide perçue comme une marque de mépris par les familles de ses victimes.

C’est l’un des hommes les plus riches de la planète. En 2022 le magazine Forbes estimait sa fortune personnelle à 2,3 milliards de dollars.

Soucieux de son image, bien altérée par l’amiante, il a écrit un livre sur le « développement durable », pour le « bien-être des générations futures ». Il a participé au sommet de la Terre à Rio en 1992.

Sa fondation (Avina)  a contribué au financement de certains projets de l’Université de Yale sur le développement durable.

En 1996, Yale lui a renvoyé l’ascenseur en lui décernant le titre de docteur honoris causa.

Un titre dont le retrait a été exigé par une pétition d’indignés.

Merci à Silvana et Vicky

Les 42  audiences de ce procès ont été suivies dans plusieurs dizaines de pays. grâce aux compétences et au dévouement de deux militantes bénévoles.

Silvana Mossano, ancienne journaliste à la Stampa,  a relaté les audiences avec une maîtrise de questions juridiques complexes et une clarté d’analyse remarquables. Victime elle-même de cette tragédie, elle savait restituer la charge émotionnelle  omniprésente dans la salle d’audience de ce procès hors norme.

Voir son site :
https://www.silmos.it/

 

Vicky Fanzinetti, traduisait vite et  bien  le texte italien en anglais.

Il était aussîtot envoyé dans les deux langues en Europe, aux USA, au Canada, au Brésil, au Japon, en Australie...


Article publié dans le Bulletin de l’Andeva n°71 (juillet 2023)