Sébastien DELAVOUX


(animateur du collectif CGT pompiers SDIS)

 

Quel bilan tires-tu des incendies de cet été, notamment en Aquitaine ?

En général, la plupart des feux de forêts restent localisés (moins d’un hectare brûlé). Mais il y a des feux extrêmes qui peuvent brûler des milliers, voire des dizaines de milliers d’hectares.

Avec le dérèglement climatique, le nombre de ces feux extrêmes ne cesse d’augmenter : 18 ont été recensés depuis 1976. Dans le « Top 10 » des plus importants, quatre ont eu lieu durant les deux dernières années, dont deux en Gironde, où il a fallu évacuer 45 000 personnes.

Ces feux extrêmes ont-il été des révélateurs ?

Oui, des besoins humains et matériels très importants ne sont pas satisfaits. Cela peut nuire à la réactivité des interventions.

Pour intervenir sur des feux de forêt, il faut des 4x4 poids lourds. Nous en avions près de 5000 il y a quelques années. Il en reste aujourd’hui moins de 4000 !

Il faut aussi disposer d’une couverture aérienne suffisante pour des bombardements d’eau. S’il n’y a pas assez d’avions, on ne pourra faire face à des feux extrêmes simultanés dans le Maine-et-Loire, en Gironde ou en Bretagne par exemple. En fait, c’est tout le dispositif de protection civile qui doit être repensé pour affronter les conséquences du dérèglement climatique.

Nous avons besoin d’alertes locales plus précises de Météo France.

Il faudrait donner davantage de moyens à l’Office national des Forêts (ONF) dont l’effectif a connu une forte baisse ces dernières années.

Le dérèglement climatique crée une situation nouvelle. Il faut s’y adapter dès aujourd’hui sans remettre à demain les investissements nécessaires.

Le parc de véhicules spécialisés pour les feux de forêts devrait être modernisé et renforcé. Sur les camions récents, la cabine peut être un lieu de refuge face au feu. Les camions plus anciens ne le permettent pas.

Quels seraient, selon la CGT, les investissements humains nécessaires ?

Il faut embaucher et former environ 15 000 pompiers professionnels supplémentaires pour répondre aux besoins immédiats. Nous avons besoin de personnels qualifiés ayant suivi une formation spécifique. On ne peut pas envoyer n’importe qui affronter des flammes de 40 mètres de haut.

Il faudrait aussi rénover les locaux de travail. Il y a plus de 6000 centres de secours. Beaucoup ne sont pas adaptés. Certains ne disposent même pas de machine à laver pour les vêtements de travail.

Il faudrait aussi revoir les procédures d’intervention. Dans certains départements  il n’y pas de procédure « amiante », alors qu’il s’agit d’un risque prépondérant.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé le métier de pompier comme cancérogène avéré.

Cette décision devrait nous fournir un point d’appui pour améliorer la reconnaissance des cancers professionnels imputables au service avec une meilleure prise en compte des multi-expositions avec « effets cocktails » et aussi pour améliorer le suivi médical des actifs et des retraités.

La France est en retard sur la plupart des autres pays développés : USA, Canada, Belgique, Suisse, Autriche...

Au total, sur l’ensemble du territoire français, il y avait seulement 32 maladies professionnelles reconnues en 2019  pour les pompiers professionnels, zéro pour les pompiers volontaires et 19 pour le personnel administratif. Des chiffres dérisoires et imprécis (combien de TMS et combien de cancers dans ces chiffres globaux ?)

Rares sont les pompiers retraités qui demandent un suivi médical post-professionnel. Et ceux qui le demandent ne l’obtiennent pas tous.

L’indemnisation d’une maladie imputable au service ne va  pas de soi chez les pompiers professionnels. Chez les pompiers volontaires, la situation est pire avec une prise en charge plus défavorable.

Le contenu du travail des pompiers a évolué. Dans les années 90, il y avait moins de 3 millions d’interventions par an. En 2019, on a atteint 4,9 millions d’interventions. Mais les moyens n’ont pas suivi. Résultats : une intensification du travail et une augmentation du risque et de la fatigue.

Tout est vu par le prisme du coût.

Les fermetures de lits allongent les trajets des pompiers qui transportent des victimes vers les hôpitaux. On sait que cet allongement peut se traduire par une perte de chance et que cette logique folle conduit à des désastres. Mais elle continue à prospérer : quand on a une tête en forme de marteau, dit le proverbe, on ne voit que les problèmes en forme de clous...


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°69 (octobre 2022)