Au terme d’un long combat judiciaire mené par le syndicat CGT de la production et du transport d’énergie de la région parisienne (SPPTE-RP) avec le soutien de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), le préjudice d’anxiété de 21 anciens agents EDF a été définitivement reconnu, ouvrant droit à une indemnisation. Réunis mardi 20 décembre à la maison des syndicats de Mantes-la-Ville, ils ont reçu chacun un chèque de 10 000 €.

Dans cette affaire introduite en 2013 devant le conseil de prud’hommes de Paris, le dernier acte a été le rejet par la Cour de cassation, le 21 septembre dernier, du pourvoi formé par EDF à l’encontre du jugement de la cour d’appel de Paris qui établissait sa faute. Il aura donc fallu quasiment 10 années de procédure aux 21 de Porcheville, défendus par le cabinet TTLA, pour voir leur préjudice reconnu. Ce qui fait dire à Valentin Quadrone, le militant qui a coordonné les dossiers « amiante » dans les centrales électriques de la région parisienne, que l’employeur dans cette affaire a cherché jusqu’au bout à échapper à ses responsabilités.

L’entreprise n’est jamais parvenue à prouver qu’elle avait mis à la disposition de ses salariés des moyens adaptés de protection individuelle ou collective, alors qu’elle pouvait leur demander de démonter des « isolants amiantés » ou de remplacer des « joints en fibre d’amiante [qui] s’effritaient ».

En 2021, un ancien technicien de la centrale nous avait raconté : « La poussière d’amiante, on vivait dedans. Quand la turbine tournait à 3 000 tours/minute, elle volait dans les bureaux sous l’effet des vibrations. »

Les vingt et un plaignants ont dû produire devant le tribunal des témoignages de proches attestant de leur anxiété quotidienne, alimentée forcément par le décès d’un collègue, en 2005, d’un cancer de l’amiante.

A été pris en compte également par la cour d’appel le fait que les ex-agents sont astreints à « un suivi médical régulier » par le biais de radiographie, de scanners, « mais également par le biais d’explorations fonctionnelles, examens pour certains invasifs, lesquels génèrent notamment dans l’attente de leurs résultats une angoisse qui caractérise le préjudice d’anxiété ».

 


Philippe, agent EDF à la centrale de Porcherville et récemment retraité, nous dresse l’historique de l’affaire. Cet interview a été réalisé par solidaire78.ogg

A la centrale de Porcheville, les salariés Edf de la maintenance ou de la conduite des installations (en 3X8) et des sous-traitants ont été exposés à l’amiante sans aucune connaissance du risque et sans aucune protection respiratoire pendant des décennies. Dans le courant des années 90, les représentants du CHSCT ont commencé une bataille acharnée pour exiger la mise en œuvre de moyens de protection : traçage des expositions, suivi médical renforcé, repérage et désamiantage progressif.  

De nombreux salariés sur la centrale ont été victimes d’affections liées à l’exposition à l’amiante : cela a généré un profond traumatisme chez les personnes malades et leur famille mais aussi chez les collègues non encore affectés, ce qui engendre chez eux un syndrome d’anxiété… A partir de 50 ans l’angoisse augmente et c’est la peur au ventre que certains collègues se rendent à leur examen scanner amiante, préalable à la visite du pneumologue.

En 2005 la disparition de notre collègue Serge, à peine âgé de 53 ans, empoisonné par l’amiante, a créé un traumatisme encore palpable aujourd’hui.  Au total, des dizaines de collègues ont développé des pathologies liées à l’amiante, et plusieurs sont décédés.

Certaines victimes ou familles, veuves, enfants, ont engagé des procédures en justice pour faire condamner l’entreprise pour faute inexcusable d’avoir exposé leurs salariés. La famille de Serge avait obtenu la condamnation d’EDF et 200 000 euros de dommages. La procédure pour préjudice vise à faire reconnaître l’exposition à l’amiante et obtenir une indemnité pour le salarié anxieux à l’idée qu’on lui diagnostique un cancer après avoir travaillé au contact de l’amiante. Suite au travail de recensement de la CGT  sur différentes centrales  thermiques du territoire, 108 dossiers sont déposés par le cabinet d’avocat TTLA, dont  24 sur Porcheville (3 dossiers ont été recalés faute d’éléments suffisants).Compte tenu du nombre important de dossiers, les procédures ont été disjointes selon les sites concernées. Porcheville, Vitry sur Seine, Champagne sur Oise pour les centrales franciliennes.