15 000 personnes exigent que les responsables soient jugés

Le samedi 27 février, une grande manifestation a eu lieu à Fort-de-France pour exiger un procès des responsables de la gigantesque contamination des populations et du milieu naturel aux Antilles par un poison nommé chlordécone.

L’annonce par les juges de Paris d’une possible prescription des faits a suscité une énorme vague d’indignation et de colère dans la population antillaise.

Interrogé par le journal Le Monde, Raphael Constant, avocat du barreau de Martinique dresse un tableau saisissant de ce scandale judiciaire : « Treize ans après notre première plainte, l’affaire a été dépaysée à Paris - comme toujours - personne n’est mis en examen, nous apprenons que des pièces essentielles du dossier ont disparu et on voudrait nous faire croire que nous avons porté plainte trop tard !

à chaque fois qu’on a demandé à un ouvrier agricole de mettre du chlordécone au pied d’un bananier, et cela s’est produit de bien trop nombreuses fois depuis 1990, c’était un délit et cela doit être poursuivi ! Il s’agit de « mise en danger de la vie d’autrui» et « d’administration de substances nuisibles». Les gens qui l’ont fabriqué, ceux qui l’ont acheté, ceux qui l’ont vendu, tous savaient que c’était dangereux : il s’agit d’un empoisonnement et il doit être puni. Nous connaissons les responsables, tout le monde les connait.»

Des ressemblances frappantes avec le scandale judiciaire de l’amiante

Comme l’amiante, le chlordécone, insecticide utilisé durant plus de 20 ans contre le charançon dans les bananeraies, avait été présenté comme un produit-miracle.

Comme pour l’amiante, les dangers étaient connus de longue date : l’OMS l’avait classé en 1979 comme cancérogène probable.

Comme les industriels de l’amiante, les fabricants de ce pesticide connaissaient ses effets ravageurs sur la santé humaine et l’environnement. Le chlordécone avait été interdit aux USA dès 1975 et pourtant, aux Antilles, ses fabricants ont continué à le commercialiser, en pleine connaissance de cause, jusqu’à son interdiction à la vente en 1993 !

« Faut pas dire que c’est cancérIgène »

Une étude de Santé publique France de 2018 montre que plus de 9 Antillais sur 10 ont des traces de chlordécone dans le sang. Les Antilles ont un des taux de cancers de la prostate les plus élevés du monde. Ce produit est un reprotoxique. Mais les autorités ont cultivé le déni. En février 2019, Emmanuel Macron déclarait « Faut pas dire que c’est cancérigène », devant un parterre d’élus antillais reçus à l’Elysée qu’il incitait à ne pas « cultiver la peur ».

Aujourd’hui le ton a changé.  Le ministre de la Santé  admet que c’est « une vraie saloperie qui peut contaminer les milieux aquatiques, les sols, les denrées alimentaires » avec « un effet rémanent pendant 600 ans ».

Mais la justice est toujours aux abonnés absents. Une enquête pour « mise en danger de la vie d’autrui » a été ouverte en 2007. Comme pour l’amiante, elle a été confiée aux magistrats du pôle santé publique de Paris qui à ce jour n’ont procédé à aucune mise en examen. Ils ont réuni les parties civiles le 21 janvier pour leur annoncer une possible prescription de tous les dossiers, qui signerait la fin de l’enquête.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°65 (avril 2021)