La plainte du Canada contre la France est rejetée par l’O.M.C.

Après l’interdiction de l’amiante en France, le Canada, gros producteur de ce matériau cancérigène, avait porté plainte contre la France pour « entrave à la liberté du commerce ». L’OMC a donné raison à la France mais l’argumentation utilisée est dangereuse car elle semble réfuter le « principe de précaution »

En mai 1998, le Canada avait porté plainte contre la France et la Communauté Européenne auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), soutenant que l’interdiction de l’amiante en France était contraire à l’Accord Général sur les Tarifs douaniers et le commerce (GATT).

Le 18 septembre l’OMC a annoncé qu’elle déboutait le Canada. Il a 60 jours pour faire appel.


Pourquoi le Canada défend l’amiante ?

L’interdiction de l’amiante annoncée a été effective en France à partir du 1er janvier 1997. Elle est le 10ème pays en Europe a avoir pris une telle mesure. Elle fut suivie par la Belgique, le Royaume-Uni et la CEE (où l’interdiction doit être effective avant 2005).

Le Canada, premier exportateur mondial d’amiante, sait bien qu’il ne pourra plus vendre d’amiante en Europe, mais il craint une contagion vers ses plus grands clients actuels (Afrique du Nord, Amérique du Sud et Asie).

L’action du Canada auprès de l’OMC vise donc à défendre le commerce de l’amiante vers les pays pauvres, là précisément où la législation hygiène et sécurité est la plus laxiste.


Arguments opposés

D’un côté les Etats-Unis (qui ont pris position en faveur de la CEE), de l’autre le Brésil et le Zimbabwe ,pays producteurs d’amiante, (qui ont soutenu leCanada) se sont joints comme partie à la procédure.

Les arguments du Canada pour continuer à exporter son amiante sont les mêmes que ceux qu’employait le Comité Permanent Amiante (CPA) en France :

- minimisation des risques (« l’amiante fait moins de morts que le tabac », « le grand nombre de cancers que l’on observe aujourd’hui est dû aux conditions d’utilisation passées de l’amiante »),
- distinction entre amphiboles et chrysotile... Le Canada soutient que seules les amphiboles (crocidolite, amosite) seraient dangereuses. Cela tombe bien puisque le Canada produit de l’amiante chrysotile (qui représente plus de 90% de l’amiante produit dans le monde).
- promotion de « l’usage contrôlé » de l’amiante. Le Canada prétend que des procédures de contrôle rigoureuses permettent de diminuer la quantité de poussières d’amiante à chaque fois qu’on le travaille, de sorte que les risques deviennent « indétectables »).
- refus de rechercher des produits de substitution à l’amiante, sous prétexte qu’on ne peut être certain de leur inocuité). La France et la Communauté Européenne on rappelé que toutes les variétés d’amiante sont cancérogènes : s’il est avéré que le chrysotile cause, à dose égale, moins de mésothéliomes, on ne peut différencier le risque pour le cancer du poumon.

Le chrysotile est classé cancérogène par le Centre International de Recherche sur le Cancer depuis 1977.

Quant à « l’usage contrôlé » l’expérience montre qu’il est irréalisable pour les ouvriers du bâtiment (construction et maintenance), les bricoleurs, lesutilisateurs de matériaux, etc. le rapport INSERM évalue à plus de 2000 morts par an en France les dégâts causés par l’amiante ;

Certains produits de substitution (ceux sans fibres) ne présentent pas de problèmes pour la santé, les produits de substitution fibreux, même s’ils ne peuvent être considérés inoffensifs, ne présentent pas les mêmes risques pour la santé que l’amiante.

Les experts de l’OMC constatent d’abord que les produits en amiante-ciment sont similaires (dans leur aspect, caractéristiques et utilisation) aux produits en fibro-ciment sans amiante (avec des fibres de cellulose, PVA ou fibres de verre) et donc que l’interdiction de l’amiante viole les accords du GATT puisqu’il donne un traitement défavorable (sic) à un produit similaire.

Ils concluent néanmoins que l’interdiction de l’amiante peut être justifiée comme une exception prévue à l’article XX du GATT (« mesures [...] nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux »).

Ils affirment notamment que « l’usage contrôlé ne constitue pas une alternative raisonnable à l’interdiction de l’amiante chrysotile [...] ». On peut certes se féliciter du fait que l’OMC ait reconnu la prévalence des décisions prises pour des motifs de Santé Publique (article XX du GATT) sur les règles d’équité de commerce international (en particulier l’article III.4).

En fait l’argument ne s’applique qu’au cas de l’amiante ) ; L’OMC ne veut pas ouvrir une brèche pour faire prévaloir les impératifs de santé publique sur les considérations purement commerciales.

Il est déjà inquiétant qu’un organisme comme l’OMC ait eu à juger du bien-fondé d’une mesure de santé publique comme l’interdiction de l’amiante.

Il est alarmant de constater que la jurisprudence que l’OMC établit avec ce jugement peut être utilisée pour faire valoir des intérêts commerciaux au détriment du « principe de précaution » (hormones, OGM, etc).


Article paru dans le bulletin de l’Andeva  N°7 (octobre 2000)