En une semaine, les magistrats du pôle de Santé publique ont délivré deux ordonnances de non-lieu dans deux dossiers emblématiques du procès pénal de l’amiante : le 11 juillet pour toutes les usines Eternit de France et le 16 juillet pour Ferodo-Valeo à Condé-sur-Noireau (Calvados).

Chez Eternit, les victimes se comptent par centaines dans les usines de Thiant, Paray le Monial, Albi, Rennes, Triel, Caronte-Martigues. Chez Valéo, dans la « vallée de la mort », pas une seule famille n’a été épargnée par la maladie et le deuil.

Les responsables de toutes ces souffrances sont connus de tous. Ce sont d’abord les industriels de l’amiante qui ont prolongé sciemment l’usage d’un matériau qu’ils savaient mortel, les représentants de l’Etat qui les ont laissé faire et les lobbyistes du « Comité permanent amiante » (CPA), créé, financé et manipulé par les industriels pour faire la promotion de l’usage soi-disant « contrôlé » de ce terrible cancérogène.
La réponse de la justice aux familles endeuillées par des décès évitables tient en une phrase : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »

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Les ordonnances de non-lieu rendues par les juges d’instruction du pôle de Santé publique sont un déni de justice. L’Andeva et ses associations locales ont interjeté appel.

23 ans d’instruction pour en arriver là !

En mai-juin 2017, les juges d’instruction avaient déjà annoncé qu’ils cessaient toute investigation parce que la responsabilité des maladies et des décès ne pouvait « être imputée à quiconque ». Il leur a fallu deux ans pour rédiger ces non-lieux !
Pour justifier le blanchiment de tous les responsables, petits ou grands, dans une catastrophe sanitaire qui fera plus de 100 000 morts, l’ordonnance des juges d’instruction utilise deux arguments.

« Impossible de dater l’intoxication » ?

Les magistrats motivent leur décision par « l’impossibilité de dater l’intoxication des plaignants » par l’amiante, ce qui – selon eux - empêcherait d’établir un lien de causalité certain entre les fautes présumées et le dommage (maladie ou décès).

Cet argument repose sur une interprétation grossièrement erronée du rapport d’expertise Lasfargues, Similowski et Pralong. Les connaissances scientifiques sur les mécanismes d’action de l’amiante dans l’organisme le démontrent. L’amiante est un cancérogène sans seuil d’innocuité dont les effets toxiques sont à l’œuvre dès les premières expositions. Ces effets ne résultent pas d’un événement ponctuel, mais d’un processus d’accumulation des fibres inhalées tout au long de la période d’exposition. C’est cette période qui doit être prise en compte.

La responsabilité pénale ne requiert pas l’existence d’une date précise d’intoxication ni pour caractériser le lien de causalité, ni pour imputer l’infraction à une personne déterminée.

« Impossible de démontrer l’existence d’une faute »  ?

Dans le dossier Eternit, le second argument pour motiver ce non-lieu est « l’absence de démonstration d’une faute pénale » imputable à la société Eternit et à ses dirigeants. L’ordonnance leur décerne un véritable certificat de bonne conduite pour avoir mené une « politique Amiante-Santé » considérée comme une « priorité stratégique », osant même affirmer que «  toutes les dispositions ont été prises en vue de réduire l’empoussièrement des sites au minimum ».

Les magistrats ont volontairement ignoré les innombrables témoignages des salariés qui suffoquaient dans ces ateliers saturés de poussières d’amiante, alors que dès avant 1977, la réglementation imposait des systèmes d’aspiration dans les locaux de travail et des protections individuelles.... Ils ont ignoré les multiples condamnations pour « faute inexcusable de l’employeur ». Ils ont préféré présenter des délinquants industriels comme des prix de vertu. Une telle partialité les disqualifie.

La «  politique Amiante-Santé » d’Eternit ? Parlons-en ! Dans la seule usine de Vitry-en-Charollais, le Caper Bourgogne compte officiellement à ce jour 147 décès dus à des maladies de l’amiante. Un chiffre sans doute bien inférieur à la réalité. La liste n’est malheureusement pas close. Cinq anciens salariés d’Eternit Caronte ont vu leur épouse tomber malade de l’amiante, parce qu’elle lavait leurs bleus de travail que l’entreprise refusait de nettoyer.

L’Andeva et les associations locales concernées par les dossiers Eternit et Ferodo-Valéo ont fait immédiatement appel de ces ordonnances avec les cabinets TTLA et Ledoux.