IL Y A 25 ANS, UN OUVRIER DE WANNER ÉCRIVAIT A LA MINISTRE DE LA SANTÉ


Voici avec l’autorisation de sa fille quelques passages de cette lettre envoyée à Mme Simone Weil le 7 novembre 1977 en recommandé avec accusé de réception. Elle met en cause la direction et la médecine du travail de l’époque.

Madame le Ministre,

A la suite de notre émission sur RTL le mercredi 26.11.77, je suis heureux de pouvoir m’adresser à une très haute autorité pour exposer mon cas et celui de camarades encore vivants ou décédés.

J’ai été employé en qualité de projeteur d’amiante du 21 octobre 1957 au 7 juillet 1963 par la SAF du FERODO..

Notre département, après dissolution, a été repris par la société Wanner aujourd’hui Wanner Isofi.

Les visites que j’ai subies à l’époque n’étaient que de simples formalités administratives

Depuis 1966 je me faisais soigner, sans résultats pour des quintes de toux persistantes.

Le 18 juin 1968 après une série d’examens orientés vers la recherche de la maladie professionnelle, j’obtins un certificat pour demander la reconnaissance d’une asbestose dont on sait combien l’évolution est longue.

Effectivement celle-ci fut reconnue et mon taux d’invalidité fixé d’emblée à 30% !

Or j’avais passé la visite médicale réglementaire le 9 août 1968 et le diagnostic avait été favorable.

J’ai quitté Wanner Isofi le 7 juillet 1969 sans que mon invalidité soit décelée.

J’en suis arrivé à 50% d’invalidité reconnue pour l’instant car j’ai déposé au mois de juin un dossier de demande d’aggravation.

Je peux donc affirmer que ma santé est irrémédiablement compromise que pour cette seule raison, l’âge aidant, j’en suis à redouter les séquelles de mon infirmité qui compromettront à un moment mon état général et abrègent ma vie.

J’’affirme que si la détection de ma maladie, risque professionnel connu de mon ancien métier, avait été faite de façon précoce, je n’en serais pas à ce stade d’évolution aujourd’hui.

J’en rends responsable le docteur G*** personnellement et la société Wanner Isofi par l’entremise de son « service médical ».

Je les rends responsables aussi de l’état de santé tant physique que du moral définitivement compromis des quelques ouvriers en longue maladie qui ont été licenciés ces derniers temps.

Je les rends responsables aussi de la mort de plusieurs de mes compagnons de travail.

En effet, comme pour moi, aucun d’eux n’a été détecté initialement par le service de la médecine du travail de la société à qui la loi a délégué entre autres la tâche de préserver la vie de travailleurs.

Mais qui s’assure donc que cette fonction est réalisée efficacement si le service du Personnel ou les dirigeants ne s’inquiètent pas de ces décès et maladies dont les causes sont bien spécifiques ?

Et pourtant l’amiante et l’asbestose sont en cause directement ou indirectement . Quand il s’agit de plusieurs morts et maladies depuis 1965, tous en âge actif, il ne peut plus s’agir seulement de suspicion.

Si cette lettre pouvait faire éviter d’autres cas, j’aurais au moins atteint un but également. Je suis bien sûr à la disposition de vos services, ainsi que quelques camarades pour vous fournir les éléments complémentaires à ma lettre.

Veuillez accepter, Madame le Ministre, avec ma gratitude, l’expression de mes sentiments respectueux.... »

Lucien M.


Les noms de 15 personnes décédées et de 12 personnes malades figurent au bas de cette lettre.

Lucien M. est décédé le 1er janvier 1980 de cette asbestose à l’âge de 59 ans.

Sa fille est atteinte de plaques pleurales.


Article paru dans le bulletin de l’ANDEVA N°10 (octobre 2002)