André Letouzé et Monique Nowak ont fait deux voyages militants en Corse cet automne. Ils témoignent de la situation sur l’Ile.

« Les victimes environnementales vont payer un lourd tribut »

La Corse me fait penser au Canada, soupire Monique Nowak, présidente de l’Ardeva. Comme dans l’île de beauté, on y trouve de magnifiques paysages... amiantés "

" Au Nord-Ouest de Bastia, à Canari, il existe des terres amiantifères qui ont été exploitées de 1941 à 1965 par Eternit ", explique André Letouzé, trésorier de l’Adeva 76. La mine se trouve à flan de montagne et a été abandonnée en raison de sa non-rentabilité. "

Des déchets balancés à la mer...

Des mineurs ont été exposés, des dockers aussi qui transportaient les sacs de ce produit mortel dans des camions servant pour d’autres transports... Les dégâts causés par cette exploitation ne se sont pas arrêtés avec la cessation de l’activité de Canari. Le site a été défiguré pour des décennies. Les déchets balancés à la mer. Des plages artificielles créées. " Les roches sont encore friables, insiste-t-elle, les vents fréquents transportent les poussières aux alentours ". Il y a en Corse une contamination environnementale majeure et un retard énorme pour l’indemnisation des victimes.

Deux voyages bien remplis

« César MASOTTI s’occupe d’un comité de chômeurs en Corse. C’est lui qui a alerté l’Andeva », explique Monique Nowak.

L’idée de ce voyage a germé dans la foulée afin de rencontrer les victimes et les pouvoirs publics et de faciliter la création d’une Adeva.

" La semaine que nous avons passée sur l’île en octobre a permis une première approche " , explique Monique Nowak. " La presse nous a bien relayés mais il y avait peu de participants. On s’est rendu compte qu’il ne se passait rien sur le front de l’amiante : les dossiers d’indemnisation sont bloqués, les gens ne savent pas quoi faire. "

" Le second voyage, en décembre, a été plus productif. " Le premier jour, une réunion a eu lieu avec les mineurs victimes de Canari. Objectif : rassembler un maximum d’éléments pour faire reconnaître leur maladie. " Un moment poignant, car les anciens ont témoigné de leur sentiment d’abandon et d’isolement. "

Le deuxième jour s’est déroulé avec un médecin du travail, une inspectrice du travail et deux assistantes sociales de la Cram (Caisse régionale de l’assurance maladie). « En dehors du médecin et de l’inspectrice du travail, le personnel est tombé des nues. Ils ignoraient l’ampleur de la catastrophe en Corse ! "

Un manque d’information des médecins

Lors de la visite à la Caisse primaire d’assurance maladie, « j’ai constaté un manque crucial d’information et de formation des personnels médicaux. Ils ne savent généralement pas remplir le certificat médical initial. Ce dernier doit être précis et correspondre aux termes des tableaux 30 et 30 bis de maladies professionnelles. Une victime de l’amiante qui se retrouve avec une vague mention de syndrome respiratoire ne peut prétendre à l’indemnisation. Les caisses ne peuvent pas instruire son dossier ».

" J’ai vu, poursuit Monique, une victime arriver avec une déclaration de maladie professionnelle qui datait de 1960, sans pour autant bénéficier de soins ni de suivi. "

Reçus chez le préfet

Enfin, le dernier jour, le chef de cabinet du préfet de Haute-Corse a accepté de recevoir la délégation.

" Désormais, conclut Monique Nowak, nous avons l’intention d’aller plaider, avec maître Ledoux, sur place devant le Tribunal des Affaires de Sécurité sociale (Tass) et d’obtenir des condamnations. Il faut rendre visible la catastrophe de l’amiante sur l’île, chasser l’oubli et l’isolement. "

Propos recueillis par
Pierre LUTON


UN LIVRE SUR LA MINE DE CANARI

Guy Méria, directeur-adjoint de la Ddass (Direction départementale de l’action sanitaire et sociale ) de Haute-Corse, vient de publier un livre sur la mine de Canari (1).

Un livre très documenté sur l’histoire de l’exploitation de l’amiante en Corse, parfois ardu et technique mais toujours précis. Il décrit les conditions de vie des mineurs dans cet " enfer blanc ", les luttes ouvrières, la fermeture du site et la contamination environnementale magistralement illustrée par des photos d’époque.

(1) Guy Méria, " L’aventure industrielle de l’amiante en Corse ", Editions Alain-Piazzola, 23 euros.


 



Articles parus dans le bulletin de l’ANDEVA N°12 (janvier 2004)