Fernanda Giannasi, dont le nom est devenu un symbole de la lutte contre l’amiante au Brésil, est poursuivie par un ex-ministre du Travail, qui l’accuse d’avoir « attenté à son honneur ».
Elle est inspectrice du travail, fondatrice de l’association brésilienne de défense des victimes de l’amiante (Abréa) et coordinatrice du réseau international Ban Asbestos en Amérique latine. Elle a répondu à nos questions par Internet


Pourquoi des poursuites judiciaires ont-elles été engagées contre vous ?

Fernanda Giannasi : Almir Pazzianotto Pinto me reproche de l’insulter et d’attenter à son honneur. J’ai dénoncé une manœuvre entre cet ex-ministre et l’entreprise Brasilit (regroupant Saint-Gobain et Eternit) qui lui a permis de créer un syndicat-maison, en violation de la loi sur la libre organisation syndicale.
Depuis trois ans, nous menons des négociations pour indemniser les quelque 2500 victimes de l’amiante recensées dans notre pays. Ce syndicat inféodé a pu jouer les perturbateurs. Alors que nous réclamions 13 fois l’offre dérisoire couramment imposée aux ouvriers exposés (en moyenne moins de 5000 euros par personne), les représentants de ce syndicat ont annoncé que les travailleurs se contentaient de réclamer seulement le triple.
A force de nous entendre dénoncer cette manœuvre, les autorités judiciaires ont fini par nous écouter : elles n’ont plus accordé aucun crédit à ce syndicat-maison. Elles ont considéré l’Abréa, l’association de défense des victimes de l’amiante du Brésil, comme le seul représentant des victimes.

Que risquez-vous ?

Fernanda : Si je suis condamnée, je risque de perdre mon travail ! Mais tout n’est pas perdu… L’audience a été remise à septembre prochain.
En effet, le juge qui devait présider les débats, Joao Carlos da Rocha Mattos, est lui-même en prison ! Il a été pris dans une opération anti-corruption sans précédent, où de nombreux magistrats sont soupçonnés d’avoir vendu leurs verdicts.

Etes-vous choquée qu’on vous appelle « la Pasionaria de l’amiante » ?

Fernanda : On ne peut toujours raisonner à froid face à l’injustice.
Après vingt années de métier, je suis encore capable de m’indigner et je me battrai jusqu’à la fin de mes jours.
Ma famille, mes parents, ma fille qui est encore jeune, me soutiennent même s’ils ont tous peur pour ma sécurité.

Vous avez déjà été menacée ?

Fernanda : En février, pour ne parler que du dernier épisode, j’ai été très choquée de recevoir un document anonyme chez moi. On me faisait comprendre en termes menaçants que l’on pouvait stopper nos actions et mettre un terme à notre combat.
Ce vocabulaire m’a glacée car il ressemble à celui utilisé de sinistre mémoire au cours de la dictature militaire qu’a connue notre pays de 1964 à 1985. De plus, ce document est arrivé cinq jours après le meurtre de quatre de mes collègues du ministère du Travail qui enquêtaient sur du travail au noir.
Au cours de ma carrière, j’ai eu à me défendre de nombreuses fois et j’ai dépensé beaucoup d’argent en avocats pour faire face aux accusations que la mafia de l’amiante a tenté de lancer contre moi.

De quels soutiens bénéficiez-vous ?

Fernanda : Je reçois beaucoup de soutien international, de la part du parlement européen et du parlement britannique notamment, de syndicats, de médias…
En France, j’aimerais que l’Andeva nous aide à être plus visibles pour dénoncer dans vos médias le harcèlement moral et physique dont nous faisons l’objet, dénoncer ce syndicat illégal et nous aider dans notre combat !

Propos recueillis par Pierre LUTON


Grâce à la solidarité internationale et à l’expression de parlementaires européens, d’inspecteurs du travail et d’associations de victimes, le gouvernement brésilien a cédé et réintégré Fernanda Giannasi dans ses fonctions. Cependant la plainte n’a pas été retirée. Enfin la lutte continue pour obtenir l’interdiction de l’amiante au Brésil. Fernanda remercie chaleureusement tous ceux et celles qui se sont mobilisés en solidarité avec elle et les victimes de l’amiante au Brésil.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°13 (juin 2004)