Ancien maçon, atteint de plaques pleurales, Manuel Branco a manipulé de l’amiante pendant toute sa vie professionnelle. Mais sa femme a dû se battre pendant sept ans pour faire reconnaà®tre la maladie professionnelle de son mari. La cour d¹appel de Paris lui a finalement donné raison.


Un immeuble de trois étages dans le quartier pavillonnaire de Draveil, dans l’Essonne. Madame Branco y tient la loge et les comptes de la bataille engagée voilà plus de sept ans contre la sécurité sociale. Sept ans « que le ciel nous est tombé sur la tête » raconte-t-elle, à côté de son mari, dont le regard dit la fatigue.

Tout a commencé avec une banale radiographie des poumons en 1990 pour une bronchite. Un médecin ausculte mais ne dit rien. Nouvelle bronchite en 1992. Un autre médecin examine l’ancienne radio et déclare : « Votre mari a de l’amiante dans les poumons... »

Manuel Branco évoque cette période avec colère et amertume. Atteint d’asbestose et de plaques pleurales, sa capacité respiratoire est aujourd’hui réduite à 40 %. Il dort avec un appareil d’assistance respiratoire.

Cet ancien maçon coffreur, arrivé du Portugal il y a quarante ans, a travaillé trente-trois ans dans le bâtiment, sur les chantiers à risque que les grandes entreprises réservent habituellement à la main-d’œuvre immigrée. Dans les années soixante-dix, Manuel Branco a travaillé sur le chantier de la centrale thermique d’Aramon, dans le Gard, puis sur les centrales nucléaires de Croas (Ardèche) et de Nogent-sur-Seine. Partout, il a manipulé et inhalé de l’amiante.
« On travaillait avec du fibrociment, témoigne-t-il. On n’avait aucune protection. On ne nous a jamais rien dit sur les dangers des matériaux qu’on utilisait. »

En 1992, quand le pneumologue lui révèle qu’il a de l’amiante dans les poumons, il travaille pour Dumez. L’entreprise est contrainte de lui proposer des postes moins fatigants, et finit par le licencier en 1997. Mais entre 1992 et 1997, aucun personnel de santé, ni à l’hôpital, ni à la médecine du travail n’expliquera aux Branco, qui ne parlent pas très bien le français, les démarches à faire pour la reconnaissance de la maladie professionnelle.
« Les médecins l’ont seulement mis sous traitement, se souvient madame Branco, mais on ne s’est pas affolé, car on ne savait pas ce qu’était l’amiante. »
Manuel Branco, lui, n’a pas digéré la légèreté des médecins du travail : « C’est seulement lorsque je leur ai dit que j’étais malade qu’ils m’ont fait un contrôle plus complet. » Ironique, il ajoute : « A la médecine du travail, ils te tapent le genou avec un petit marteau et ils disent : "c’est bon". »

Tandis qu’il mène la bataille de la santé contre la fibre, c’est sa femme qui lutte sur le front juridique. En 1997, elle demande la reconnaissance de la maladie professionnelle pour son mari.
En 1999, la CPAM d’Evry refuse le dossier au motif que monsieur Branco n’aurait pas été exposé à l’amiante. Les atermoiements de la sécurité sociale le font enrager. Il est écœuré par tant de mauvaise foi.
Sa femme fait appel auprès du Tass, qui reprend le même motif de refus en 2001. « Je pense que la Sécu ne voulait pas se fatiguer, commente-t-elle. Au départ, elle a même fait une enquête sur un autre Branco, sans s’apercevoir que ce n’était pas le même numéro de sécu ! » ;
Soutenus par l’Andeva, ils font appel de la décision du Tass. Lors de la première audience, en mai 2002, Henri Pezerat, toxicologue et militant de l’Andeva, présente à la cour le rapport d’une enquête qu’il a lui-même effectuée et où il démontre l’utilisation de matériaux à base d’amiante dans les chantiers où Manuel Branco a travaillé.
Le 6 novembre 2003, la cour d’appel de Paris rend un jugement favorable. Sept ans après la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle. Treize ans après la première radio où étaient visibles les plaques pleurales.

Au terme de ce marathon judiciaire, madame Branco est fière d’avoir tenu le coup et de s’être battue : « Le plus encourageant, dit-elle, ça a été l’aide qu’on a reçue de l’Andeva. Je n’oublierai jamais. S’ils n’avaient pas été là, j’aurais abandonné dès le premier refus de la Sécu. »
Elle sait qu’il leur faut encore patienter. Attendre la convocation de la CPAM qui fixera le taux d’IPP, et se préparer, si besoin est, à contester le taux proposé.
Lucide et triste, elle conclut : « En terme administratif, le combat n’est pas fini mais le plus dur est derrière nous. En terme de souffrances, il est devant nous. »

Frédérique Lebrun