La société égypto-espagnole Ura-Misr, située dans la ville du 10 de Ramadan, fabriquait des canalisations d’eau en fibrociment. Les ouvriers prenaient à pleines mains l’amiante et le ciment pour les mélanger, sans protection.

En 1998, ils commencèrent à tomber malades, les uns après les autres. Après bien des péripéties les autorités décidèrent de
fermer l’usine, avec maintien du salaire, jusqu’à sa remise aux normes.
Le patron cessa alors de payer les salaires et licencia d’abord 52 ouvriers, puis 27 autres.

Avec le courage du désespoir, ils décidèrent de camper devant l’usine qui les avait contaminés. Ils demandent le paiement des salaires et la reconnaissance de leur maladie professionnelle

Ni mourir de cancer, ni mourir de faim

« Ils nous ont jeté sans un sou. J’ai huit enfants. Je suis depuis plusieurs mois sans salaire. Comment vais-je faire pour les nourrir ? Dois-je me mettre à voler ?

Ils n’ont ni pitié ni religion. Où est le ministère de la justice ? Où est le Président ? Qui vient voir les gens qui meurent dans la montagne ?
Nous n’avons plus de droit. Le seul droit qu’ils nous laissent, c’est celui de mourir. »

Ce cri de colère c’est un ouvrier d’Ura-Misr qui l’a poussé, alors qu’il était interviewé pour un reportage vidéo, avec ses camarades de lutte. Ils campent devant leur usine depuis novembre 2004, empêchant leur patron de sortir les canalisations en amiante pour les vendre. Les plus malades sont rentrés chez eux pour se soigner. Les plus pauvres travaillent dans la journée et viennent occuper l’usine la nuit.
Le patron, Ahmed Loukma, a coupé l’eau et l’électricité. Par deux fois il a tenté de les faire déloger par des nervis.

Un patron de choc

Il a multiplié les infractions à la réglementation du travail et de l’environnement.

Il a contaminé ses ouvriers en les faisant travailler sans protection dans une atmosphère surchargée de poussières d’amiante. Sans parler des autres maladies dues aux conditions de travail.

Il a prétendu avoir recyclé 700 tonnes de déchets, alors qu’il les avait jetés au pied de la minoterie et sur les routes de la ville, mettant en danger la population voisine.

Il bafoue la loi en ne versant pas les salaires.

Une lutte difficile

Les ouvriers licenciés réclament le paiement des salaires qui leur sont dus, la reconnaissance et l’indemnisation de leurs maladies professionnelles, ainsi que des indemnités pour non respect de la législation. Ils demandent que l’interdiction d’importer et de transformer de l’amiante annoncée par le gouvernement soit effective et qu’il y ait des aides à la reconversion pour les industries utilisant l’amiante.
Le comité syndical et les 64 licenciés ont déposé une plainte en justice pour licenciement abusif.

Le ministère du travail a déposé une plainte au pénal contre Loukma pour non paiement des salaires. Les ouvriers sont partie civile.

8 maladies professionnelles avaient été reconnues. 46 autres demandes de reconnaissance ont été déposées. Le Directeur de l’Assurance de la Santé (« Sécu » égyptienne) en a rejeté 45 ! Des actions en justice ont été engagées pour obtenir l’indemnisation de toutes les maladies professionnelles.

La lutte est difficile. Ahmed Loukma est riche. Il a des relations et des appuis au hauts placés. Les procédures judiciaires seront longues. Pour tenir, les ouvriers d’Ura-Misr n’ont que les avances de la caisse de solidarité syndicale et les dons de ceux qui les soutiennent. Certains ont besoin de soins médicaux qu’ils ne peuvent payer. La solidarité avec leur lutte est essentielle.


 

SEPT ANNEES DE LUTTE

1998 : des ouvriers de l’entreprise Ura-Misr tombent malades. Ils demandent la reconnaissance en maladie professionnelle et alertent les pouvoirs publics sur les dangers de l’amiante.

1998 : le gouvernement égyptien interdit l’importation d’amiante, puis lève cette interdiction.

1998-2002 : les ouvriers dénoncent les risques de l’amiante et luttent pour que leurs maladies soient reconnues.

Janvier 2002 : le ministère du Travail ordonne plusieurs fois la fermeture de l’entreprise et sa remise aux normes. Le patron, Ahmed Loukma, obtient la réouverture, sans avoir pris les mesures de prévention demandées.

Septembre 2004 : le gouvernement ordonne la fermeture de l’entreprise, avec paiement des salaires, jusqu’à mise aux normes. Le patron cesse de payer les salaires.

Novembre 2004 : le gouvernement annonce qu’il va interdire la production et l’importation d’amiante.

24 novembre 2004 : les ouvriers occupent l’esplanade de l’usine.

12 décembre 2004 : le patron licencie 52 ouvriers.

Début janvier 2005 : il licencie encore 27 ouvriers.

13 février 2005 : suite à une plainte du Ministère du travail, la justice reconnaît que l’employeur qui a refusé de payer les salaires est en faute ; elle condamne l’employeur... à verser une amende à l’État. Les ouvriers attendent toujours le paiement de leurs salaires.

Février 2005 : le tribunal déboute 19 salariés qui demandaient l’indemnisation de leur maladie.


 

DES CONDITIONS DE TRAVAIL DIGNES
DU MOYEN-ÂGE

(extraits de témoignages d’ouvriers d’Ura-Misr recueillis par Françoise Clément)

« J’ai travaillé dans la zone la plus dangereuse »

« J’ai travaillé dans la zone de préparation, la plus dangereuse de l’usine. J’ouvrais les sacs avec mes mains, je les vidais dans le mélangeur au milieu des poussières, sans masque, sans gants, sans rien. Aujourd’hui je suis malade de la poitrine.
Sur les sacs il était marqué que l’amiante c’était dangereux, mais nous, on ne connaissait pas les langues. On ne comprenait pas ce qui était écrit. Les patrons, eux, connaissaient le danger. »

« Nous mettions nos vêtements personnels »

« Je travaillais sur la machine principale. Quand elle marchait, la poussière volait. Il faisait très chaud. Il n’y avait pas d’aspiration , pas de refroidissement, pas de ventilateur. La poussière s’accumulait sur les équipements, abîmait les appareils. Il n’y avait pas d’aspiration. L’air était pollué. Il n’y avait pas de bleus de travail. Nous mettions nos vêtements personnels pour travailler... »

« Ils enduisaient les canalisations avec un bitume chaud »

« Nous portions des sacs sur le dos. Lui a eu un tassement des disques de ses vertèbres. Moi, j’ai eu une hernie »

« Certains ouvriers enduisaient les canalisations à la main avec une sorte de bitume chaud. C’était très nocif ».

« D’un seul coup, on s’est vu tous malades »

« En 1998, d’un seul coup, on s’est vus tous malades. Combien de morts ? Au moins une douzaine, dont deux directeurs. La plupart ont eu des maladies du ventre ou de la poitrine »

« Ils ont pris notre jeunesse »

« Si je monte trois marches d’escalier, je n’arrive plus à reprendre mon souffle. On est tous comme ça maintenant ».

« Ils ont pris notre jeunesse. Pour trois fois rien. Ils prenaient les millions et nous laissaient la petite monnaie. »


Articles parus dans le Bulletin de l’Andeva N°16 (avril 2005)