La Tour Montparnasse, l’hôpital Saint-Louis, le Clémenceau... En quelques semaines, la prévention du risque amiante a été sous les feux de l’actualité. Il ne s’agit pas seulement d’indemniser les victimes de contaminations survenues il y a plusieurs décennies. Il s’agit d’éviter que les contaminations d’aujourd’hui ne fassent de nouveaux malades et de nouveaux morts dans vingt ou trente ans.

L’amiante est interdit depuis 1997, mais il y en a encore des millions de tonnes disséminés dans les bâtiments, les usines, les hôpitaux, les écoles.

Or le constat est alarmant.

Le Code de la santé publique fait obligation aux propriétaires de bâtiments de repérer l’amiante, d’évaluer les risques et de prendre des mesures pour les éliminer. A la Tour Montparnasse, ces obligations n’ont pas été respectées. Ils savaient. Ils n’ont rien fait.

Pour les chantiers de retrait de l’amiante, il faut des sociétés habilitées, avec un personnel formé, capable de maîtriser des techniques sophistiquées, qui sont bien au point aujourd’hui. La réglementation est précise. Pourtant dans 55 des 76 chantiers contrôlés au printemps dernier, de graves irrégularités ont été relevées par l’inspection du travail. Qui empêchera ces dérives ?

L’inefficacité dangereuse de certains masques P3 a été démontrée par des test de l’Institut national de recherche en sécurité (INRS). Ils sont censés protéger des fibres d’amiante. Or après une quinzaine de minutes d’utilisation ils perdent leurs propriétés. Le Ministère est intervenu pour faire changer la norme européenne. Fort bien. Mais qui contraindra les industriels à étiqueter et déclasser les masques en circulation ? Qui informera les salariés qui les utilisent en se croyant protégés ?

L’Etat fait des lois. Mais il ne se donne pas les moyens de contrôler si elles sont appliquées. Il y a des contrevenants. Ils ne sont pas sanctionnés.

Après avoir contaminé leurs salariés, certaines entreprises ont mis la clé sous la porte, en laissant des friches industrielles dangereuses pour le voisinage : en Corse la mine de Canari est laissée à l’abandon ; des paquets de fibres d’amiante sont emportés par la mer et le vent. A Aulnay-sous-Bois, le Comptoir des Minéraux et Matières Premières (CMMP) où fut broyée la « farine d’amiante » pendant un demi-siècle, est dangereux pour les riverains et les élèves de l’école voisine. Deux situations connues de longue date par des autorités dont la passivité n’a d’égale que l’aveuglement.

Le Ministère de la Défense veut faire partir le Clémenceau en Inde pour qu’il soit démonté, alors qu’il contient encore plusieurs dizaines de tonnes d’amiante. Qui peut accepter que les grands pays industrialisés exportent leurs déchets toxiques dans des pays d’Asie ou d’Afrique où n’existent ni les lois ni le contrôle social permettant de garantir la sécurité des salariés ?

Si l’amiante a tué c’est parce que des industriels ont fait passer leurs profits avant la santé publique et que l’Etat a laissé faire. Demain, si nous n’y prenons garde, les mêmes causes produiront les mêmes effets. L’amiante tuera encore.

L’Andeva demande que des mesures énergiques soient prises rapidement. Recenser tous les bâtiments contenant ou ayant contenu de l’amiante. Centraliser les informations et les rendre accessibles aux citoyens par internet. Renforcer les moyens humains et la formation technique de l’inspection du travail pour assurer un contrôle des locaux de travail et des chantiers. Durcir la réglementation sur l’amiante non friable. Assurer une réelle formation/information des intéressés sur les équipements de protection individuelle. Développer les filières d’inertage des déchets amiantés.

Mais l’Etat ne doit pas seulement faire des lois. Il doit aussi se donner les moyens d’évaluer leur mise en oeuvre : analyser les difficultés rencontrées, fournir des aides techniques, mais aussi repérer les contrevenants et les sanctionner. Il doit associer étroitement mesures de prévention et suivi sanitaire des salariés et des populations exposées.

La prévention du risque amiante est un problème majeur de santé publique. Il faut en prendre la mesure et le traiter sérieusement.

Alain BOBBIO


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°16 (avril 2005)