Depuis trois ans une action de soutien psychologique a été mise en place par l’ADEVA 76 en Seine Maritime, avec le soutien financier de la Direction régionale des Affaires de la Sécurité Sociale (la DRASS) et le Fonds national prévention éducation information sanitaire de la caisse nationale d’assurance maladie (FNPEIS).

« Pour les entretiens individuels, les rendez-vous sont pris à l’association. explique Christine, la psychologue.
Certaines personnes ont un ou deux entretiens, après l’annonce d’une maladie par exemple, puis n’éprouvent plus le besoin de revenir.
Pour d’autres, la durée est plus longue. C’est souvent le cas lorsqu’il y a un deuil ou un accompagnement de fin de vie.
 »

Besoin de dire, besoin d’être écouté

« Les groupes de parole ont une autre dynamique que les entretiens., poursuit-elle. Ils répondent à un besoin de dire et d’être écouté. Ils permettent de passer d’une situation individuelle à une dimension plus collective. En même temps, ils permettent d’avoir des échanges et une entraide. »

Des situations souvent douloureuses

Des groupes de paroles existent depuis longtemps pour d’autres maladies : cancers, sida, cécité… Les victimes de l’amiante et leur famille rencontrent les mêmes difficultés que d’autres. Mais elles ressentent un très fort sentiment de colère et d’injustice car elles savent que cette maladie n’est pas due à la fatalité : elle aurait pu être évitée, si des industriels n’avaient pas fait passer leurs profits avant la santé...

Dans ces réunions on évoque des situations souvent douloureuses. Mais on se sent à l’aise avec des personnes qui ont vécu les mêmes souffrances.
La diversité des participants est aussi une richesse : on parle avec des gens qu’on n’aurait jamais rencontrés s’il n’y avait pas eu le drame de l’amiante.

« Il y a trois groupes de parole en Seine maritime, explique Yves Bordage de l’ADEVA 76, un au Havre, un à Rouen et un à Dieppe. Celui de Dieppe est très sollicité ».


UN GROUPE DE PAROLE À DIEPPE

Ici, chacun apporte son vécu, sa vérité.

Ils sont une quinzaine. Beaucoup se connaissent déjà et ont plaisir à se retrouver. Une femme raconte comment le dossier de son mari a été refusé par la caisse primaire. Atteint d’un épaississement pleural, il avait pourtant travaillé neuf ans dans la navale… Une expertise médicale a été demandée.

Une autre dit comment elle a accompagné son mari pendant un an et demi jusqu’à son décès. Avec l’association elle a mené son dossier jusqu’au bout. Elle touche aujourd’hui une rente, mais elle continue à venir pour témoigner et encourager les autres : « C’est très grave. Il ne faut pas se laisser faire… »

Une victime montre une lettre de son assurance, avec un avenant précisant que le risque amiante n’est pas couvert. Il est assuré depuis 1958… Les présents s’indignent. Que devient la confidentialité du dossier médical ? Comment réagir ?

La discussion roule toute seule, rebondit, prend des chemins de traverse. Chacun apporte son vécu, sa vérité. La psychologue intervient peu. Des questions techniques sont posées à un responsable de l’ADEVA 76 sur le risque amiante dans les HLM, les déchets, les explorations fonctionnelles respiratoires.

Un ancien salarié, qui touche l’allocation amiante, évoque la réflexion blessante d’une voisine : « mon mari travaille, lui… ». Poids du regard des autres. Humiliation d’être considéré comme un «  feignant », parce qu’on arrête de travailler plus jeune. Pourtant la cessation anticipée d’activité n’est pas un privilège ; elle est donnée à ceux dont l’amiante a réduit l’espérance de vie…

Plusieurs participants témoignent des conditions de travail scandaleuses qu’ils ont connues : « on travaillait sans masque, et pourtant les patrons savaient que c’était dangereux », « les protections contre la chaleur, les gants, les tabliers, étaient en amiante », « on découpait, on ponçait le Fibro », « on nettoyait nos bleus avec un tuyau d’air comprimé », « les patrons ont fait passer leur profit avant la santé des ouvriers ».

Une veuve dit ses difficultés à élever seule ses deux enfants de sept et neuf ans après le décès de son mari, mort de l’amiante à 45 ans. Elle a engagé une action en justice. Elle en avait discuté avec lui. C’était leur choix à tous les deux. L’entreprise a multiplié les chausses-trappes et les mensonges pour éviter de payer, mais sa détermination est restée intacte : quoi qu’il advienne, aller jusqu’au bout pour faire condamner les responsables.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°19 (avril 2006)