Les syndicats indiens se sont mobilisés pour empêcher l’arrivée du porte-avion sur les côtes de l’état indien du Gujurat, estimant que les ouvriers d’Alang n’avaient ni la formation ni l’équipement pour désamianter et démolir ce navire en toute sécurité. Cette position courageuse mérite d’être saluée, car dans beaucoup de pays le syndicalisme a trop souvent fait passer la défense de l’emploi avant la protection de la santé des ouvriers.



Les ouvriers d’Alang n’ont-ils d’autre choix que de mourir au travail ou mourir de faim ?

Les ouvriers des chantiers d’Alang sont des travailleurs pauvres, émigrants des états les plus sinistrés de l’Inde. Comment dans ces conditions vouloir préserver sa santé au travail lorsqu’en perdant un emploi on plonge dans la plus grande des misères, une autre condamnation à mort dans un pays où l’on mendie encore beaucoup pour un bout de pain… Ce choix difficile entre emploi et sécurité a divisé un temps l’opinion indienne, d’autant que les industriels indiens concernés ont fustigé un prétendu lobby de l’environnement.

Mais la perspicacité des magistrats de la Commission des déchets dangereux de la Cour suprême indienne a permis de lever quelques doutes. Après audition de la société Technopure et analyse des informations données par les associations et les medias, la commission s’est interrogée sur la quantité d’amiante à bord du Clemenceau, mettant de fait en doute les affirmations de l’État français.

L’Inde étant signataire de la convention de Bâle sur les déchets dangereux, la Cour suprême indienne a suivi l’avis de la commission des déchets dangereux. Elle a décidé que le Clemenceau ne pourrait entrer dans les eaux territoriales avant qu’un comité d’experts indépendants ne détermine la quantité réelle d’amiante dans le bateau. Ces décisions ont été largement commentées par la presse indienne, qui dès janvier a suivi l’affaire de près.

Les syndicalistes indiens se sont alors saisis du dossier. Le 14 janvier les trois plus importants syndicats s’adressent au Premier ministre dans une lettre rendue publique par la presse indienne. Ils lui demandent d’intervenir d’urgence et déclarent que le gouvernement mettrait en danger la vie de centaines de travailleurs s’il autorisait le bateau à être démantelé sur les chantiers d’Alang. Ils soulignent que les ouvriers indiens ne disposent ni de l’expérience adéquate ni de l’équipement minimum pour travailler dans un environnement aussi dangereux que celui du chantier de démolition d’un bateau contenant au moins 500 tonnes d’amiante. Aussi les syndicats indiens se sont-ils félicités du rapatriement du bateau dans les eaux françaises, estimant qu’il s’agissait d’une victoire pour les ouvriers des chantiers navals à travers toute l’Asie.

A Alang, des ouvriers des chantiers navals ont exprimé leur colère contre Greenpeace, accusée de priver d’emploi des centaines de travailleurs indiens. L’association des travailleurs d’Alang était convaincue que le Clemenceau allait être démantelé en Chine, au Pakistan ou au Bangladesh. Les industriels indiens du Gujurat ont de leur côté dit que le rapatriement du porte-avions mettait en péril la pérennité des chantiers de démolition en Inde.

Dans le même temps, un chantier naval du Bangladesh annonçait avoir finalisé un contrat d’achat et de démantèlement du paquebot Norway, l’ex-France, qui contient environ 1 000 tonnes d’amiante. Mais le Bangladesh a, lui aussi, refusé depuis de démanteler le Norway !

JM


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°19 (avril 2006)