La bataille judiciaire contre le désamiantage du Clemenceau en Inde a commencé en févier 2005. Un an après, le Conseil d’à‰tat saisi par les associations suspendait le transfert du porte-avions, et Jacques Chirac ordonnait le rapatriement en France du bateau à la veille de son voyage diplomatique en Inde.

 


Incroyable mais vrai !

Le Clemenceau a fait demi-tour ! Il avait quitté Toulon et traversé - non sans mal - le canal de Suez. Il arrivait non loin des eaux indiennes. Madame Alliot-Marie se frottait déjà les mains. Et patatras !

Les gifles ont commencé à pleuvoir : celle du commissaire européen qui s’interrogeait sur la légalité de cette opération, celle de la Cour Suprême indienne qui posait des conditions et pour finir l’estocade du Conseil d’État « suspendant » son transfert...
Qui aurait osé parier un sou sur une telle issue, lorsqu’il y a un an l’Andeva engageait ses premières procédures judiciaires ? Il fallait y croire. Et nous y avons cru.

La recette du succès tient à plusieurs ingrédients : une bataille judiciaire longue, acharnée, avec des dossiers solidement argumentés ; un travail inlassable d’information en direction des médias et des politiques ; des actions unitaires mettant en commun les forces convergentes de plusieurs associations, avec une mention particulière pour les actions spectaculaires et le travail international de Greenpeace qui ont contribué à médiatiser l’affaire, en brisant le mur de l’indifférence.

(Voir plus loin l’interview de Yannick Jadot)

 


UNE ANNEE DE PROCEDURES JUDICIAIRES

Apprenant le 15 février la décision du Conseil d’État, le Président de la République a immédiatement ordonné le retour du Clemenceau dans le port militaire de Brest jusqu’à ce qu’une solution définitive soit trouvée pour son démantèlement.

Pour couper court aux polémiques, Jacques Chirac a annoncé en même temps sa décision de faire effectuer une contre-expertise afin d’évaluer les quantités d’amiante et d’autres produits toxiques sur le bateau.

Il faut dire que l’Élysée n’avait pas d’autre choix à la lecture de l’arrêt de la plus haute juridiction française. Le Conseil d’État a en effet suspendu l’autorisation d’exportation de la coque du Clemenceau ainsi que la décision de transférer cette coque en Inde pour son désamiantage. Il a ainsi suivi les conclusions du commissaire du gouvernement, Yann Aguila, lequel avait recommandé à la haute juridiction de casser le jugement de première instance en invoquant une erreur de droit.

Saisi en référé par l’Andeva et le Comité anti-amiante de Jussieu, le juge des référés du tribunal administratif de Paris avait en effet refusé le 30 décembre 2005 de suspendre le transfert du navire. Cette décision a été cassée par le Conseil d’État après analyse de la réglementation européenne relative aux déchets.

Les conseillers d’État ont en effet estimé « que la coque désaffectée de l’ancien porte-avion, dont l’État français cherche à se défaire, aurait le caractère d’un déchet au sens de ces textes ». Ils ont relevé qu’est interdite l’exportation de déchets destinés à être éliminés, sauf à destination de certains pays desquels l’Inde ne figure pas. Pour la haute juridiction souligne, le juge des référés a commis une erreur de droit puisqu’il existe « un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ».

Un transfert de déchets totalement illégal

C’est aussi l’argumentation juridique développée par l’Andeva et le Comité anti-amiante, reprise par le commissaire du gouvernement, qui a convaincu les conseillers.

Les deux associations ont en effet montré que la décision de l’État français de transférer le Clemenceau en Inde pour désamiantage est illégale puisqu’elle viole les règles internationales, européennes et françaises quant à l’exportation et à la de gestion des déchets dangereux ainsi que les règles françaises relatives à l’interdiction de l’amiante.

En premier lieu, il s’agit d’une violation de la convention de Bâle de 1995, laquelle règlemente les mouvements transfrontières de « déchets dangereux ».

D’autre part, cette décision a été prise en violation de la réglementation européenne laquelle stipule que sont interdites les exportations de déchets destinées à être éliminés, à l’exception de celles effectuées vers les pays de l’AELE (Association européenne de libre échange).
La notion de déchet est définie au niveau européen comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».

Les dispositions françaises reprenant la réglementation européenne, le transfert du Clemenceau est aussi illégal au regard du Code de l’environnement.

L’État français a ainsi souhaité détourner, pour des raisons purement financières, la réglementation qu’il a lui-même édictée. L’article L541-40 du Code l’environnement français interdit en effet l’exportation de déchets lorsque le destinataire « ne possède pas la capacité et les compétences pour assurer l’élimination de ces déchets dans des conditions qui ne présentent de danger ni pour la santé humaine ni pour l’environnement ».

Or, les associations rappellent qu’il est de notoriété publique que le désamiantage des bateaux en Inde se fait dans des conditions désastreuses pour la santé des ouvriers.

Enfin, le transfert du Clémenceau sur les plages d’Alang viole la réglementation française spécifique de l’amiante.

L’article II du décret du 24 décembre 1996 interdit en effet l’exportation, la vente et la cession à quelque titre que ce soit de tout produit contenant de l’amiante.

Joëlle Maraschin

 


Ce qu’a dit le commissaire du gouvernement (1) aux magistrats du Conseil d’État

« la coque du Clemenceau est bien destinée à l’abandon et à la démolition. Elle constitue donc un déchet, au même titre que le serait par exemple un véhicule destiné à la casse ou abandonné dans une décharge. »
« Quelle est la quantité d’amiante présente à bord ? Le silence des mémoires de l’État et de la SDI sur cette question pourtant essentielle, et pourtant largement développée par les requérants, est tout de même très éloquent. Aucun rapport, aucun inventaire, aucun diagnostic amiante ne figure au dossier. »
« Il ne s’agit pas pour vous de trancher cette question de pur fait. Il s’agit de constater qu’il y a bien un doute sérieux sur la quantité d’amiante présente à bord, et par voie de conséquence, un doute sérieux sur la légalité de l’opération.
Dans l’immédiat, et à titre conservatoire, la suspension de la décision paraît donc justifiée.
 »

(1) "commissaire du gouvernement" (terme ancien hérité du XIXe siècle) : c’est un membre de la juridiction chargé dans le cas présent de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation sur les règles de droit applicables et son opinion sur les solutions qu’appelle le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient. Ayant pris publiquement position, il ne prend pas part ensuite à la délibération.

 


LU DANS LA PRESSE INDIENNE

Ce bateau français ne doit pas pénétrer en Inde.

(...) Au vu d’informations nouvelles et supplémentaires, le Comité [de surveillance des déchets dangereux de la Cour suprême indienne] a conclu qu’il n’était « pas souhaitable que le bateau pénètre dans le territoire souverain de l’Inde ».
Il a entendu deux représentants de l’entreprise française, Technopure (...). Ils ont expliqué que leur société « n’avait décontaminé que partiellement le navire, qui contient encore au moins 500 tonnes d’amiante. Au vu d’informations contradictoires sur la quantité d’amiante (l’estimation variant de 15 à 500 tonnes) le Comité a estimé qu’il avait besoin de davantage d’informations (...) »
Le Docteur Thyagarajan (1) a indiqué “Si l’Inde accepte le bateau, alors l’Inde sera vue comme soutenant une violation de la Convention de Bâle”.
“Pourquoi l’Inde devrait-elle dépenser 400 millions de roupies en devises étrangères pour acheter des ennuis ? Pourquoi devrions- nous sacrifier notre précieux sol pour enterrer les déchets d’un autre pays ?” (...) “Si un bateau arrive avec 100 000 cobras, l’accepterons-nous simplement parce que quelques Indiens savent attraper les cobras” ?

(Article de Kalpana Sharma paru dans « The Hindu » de Bombay
le 7 janvier 2006)

(1) Président du comité de surveillance des déchets dangereux


Article paru dans le bulletin de l’Andeva N°19 (avril 2006)