Des dysfonctionnements évidents et des améliorations nécessaires

Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique, a annoncé que les fonctionnaires atteints d’une maladie liée à l’amiante reconnue pourraient bénéficier d’une cessation anticipée d’activité dans des conditions analogues à celle des malades relevant du régime général de Sécurité sociale. On attend que ces engagements se matérialisent par un décret.

C’est le moment de faire le point sur les maladies professionnelles des fonctionnaires et les améliorations qu’il est nécessaire d’apporter aux conditions de leur reconnaissance. Marie-José Voisin, membre du bureau de l’Andeva et vice-présidente du Comité anti-amiante Jussieu a suivi de nombreux dossiers de fonctionnaires victimes de l’amiante. Elle tire ici quelques leçons issues de son expérience.

 

Tu as suivi beaucoup de dossiers de maladies professionnelles pour le personnel de Jussieu et d’autres établissements scolaires. Quelles difficultés as-tu rencontrées ?

Marie-José Voisin : Dans les trois fonctions publiques, c’est l’employeur qui décide de reconnaître et de prendre ou non en charge une maladie. La première difficulté c’est d’identifier le bon interlocuteur. Des personnes qui font ces démarches seules ne savent pas à qui envoyer la déclaration et le certificat médical initial. 

J’ai rencontré un enseignant qui n’avait jamais réussi à déclarer sa maladie. Il avait d’abord envoyé sa déclaration à la MGEN, puis à la caisse primaire de son département. La MGEN avait renvoyé le dossier à l’inspection académique qui a dit plus tard qu’elle avait perdu le dossier !

Une fois que la personne a compris qu’il fallait s’adresser à son employeur, il lui reste encore à trouver le bon.

Dans les municipalités, c’est le maire, dans les universités c’est le président, dans le secondaire c’est le directeur académique des services de l’éducation nationale…

N’est-il pas anormal que ce soit l’employeur qui reconnaisse la maladie ?

Dans les Fonctions publiques, l’employeur est juge et partie : c’est lui qui indemnise et c’est lui qui décide si cette maladie doit ou non être imputée au service  ! C’est effectivement anormal.

Quand le dossier est arrivé à bon port, y a-t-il d’autres difficultés ?

Oui, le principal problème est l’absence d’encadrement des délais d’instruction.

Dans le régime général, une caisse primaire a six mois maximum pour instruire le dossier et notifier sa décision.  Dans la Fonction publique d’Etat aucun délai n’est fixé. Les procédures de reconnaissance en maladie professionnelle peuvent s’éterniser, voire ne jamais aboutir.

Il est fréquent que des malades ayant un cancer lié à l’amiante décèdent avant de savoir si leur maladie sera reconnue.

Les délais d’instruction devraient être encadrés pour les fonctionnaires, comme pour les salariés du régime général.

Quel est le rôle des commissions de réforme ?

La commission de réforme rend un avis, mais il n’est que consultatif. En dernier ressort, c’est l’employeur qui décide. Et sa décision peut être contraire à l’avis de la commission de
réforme !

Ce fonctionnement est, lui aussi, tout à fait anormal.

Il serait plus logique que ce soit la commission de réforme qui décide. Cette décision pourrait alors être contestée par l’employeur ou par l’assuré.

Cela permettrait d’écourter la procédure, d’éviter que l’employeur ne soit juge et partie et de respecter la confidentialité du dossier médical (l’employeur y a aujourd’hui accès).

Comment ces commissions fonctionnent-elles aujourd’hui ?

Dans une commission de réforme, il y a des médecins, des syndicalistes, des membres de l’administration. Le salarié ou ses ayants droit peuvent y assister ou se faire représenter.

Ces commissions ne fonctionnent pas très bien. En particulier les représentants du personnel ne sont pas toujours présents.

J’ai suivi le dossier d’une prof d’anglais, adhérente de l’Addeva 93, atteinte d’un mésothéliome. L’inspecteur d’académie n’a jamais voulu réunir la commission de réforme pour ne pas avoir à rendre d’avis négatif !  L’absence de décision bloquait l’indemnisation du préjudice fonctionnel par le Fiva.  Il a fallu obtenir de l’inspection académique qu’elle envoie une lettre au Fiva.

Vu l’importance du temps de latence entre l’exposition à l’amiante et la survenue d’une maladie liée à l’amiante, il faut retrouver des preuves d’exposition en remontant loin dans le passé.  Cette mémoire des expositions a-t-elle été conservée ?

Avant 1996, il n’y avait pas d’obligation de repérage des matériaux amiantés.

Dans l’éducation nationale, on a construit puis démoli des préfabriqués qui étaient bourrés d’amiante. Mais la mémoire de ces locaux a été souvent perdue.

Où en est l’extension de l’Acaata aux fonctionnaires dont la maladie a été reconnue ?

Des décrets devraient paraître dans le courant de l’année. A priori les trois fonctions publiques sont concernées.

Il faut profiter de l’occasion pour améliorer la reconnaissance des maladies professionnelles pour les fonctionnaires.

Aujourd’hui le nombre de maladies déclarées dans la Fonction publique reste assez faible et cela est sans doute dû à la complexité des procédures.


 

 RÉGIME GÉNÉRAL

Menaces sur le barème des AT-MP

La création d’une commission chargée de réviser les barèmes des accidents du travail et des maladies professionnelles a été annoncée. Elle serait composée uniquement de médecins, de représentants de l’administration et des CPAM.

Les représentants syndicaux qui siègent à la Commission AT-MP   n’ont été ni consultés ni informés.

Le choix de Paul Frimat pour présider cette commission inquiète. Ce médecin du CHRU de Lille a présidé le groupe chargé de réviser le tableau N° 57 de maladies professionnelles. Les critères de reconnaissance des TMS ont été durcis et le nombre de prises en charge a dégringolé !

Cette révision a pour but officiel de « tenir compte de l’évolution des techniques médicales ».

En fait, comme le dit Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath, elle vise à « réduire les taux d’incapacité afin que l’indemnisation soit moindre ».

Vigilance !


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°48 (avril 2015)