« Nous n’étions ni informés ni protégés »

Belkacem a 72 ans. Il a appris l’an dernier qu’il était atteint d’un mésothéliome.  Militant actif et courageux,  il a été d’abord fracassé et puis contaminé par son activité professionnelle.  Son témoignage est un appel à la lutte pour les autres victimes de l’amiante et pour les générations futures.

Je suis né en Algérie en 1948. Je l’ai quittée en 1966 pour travailler en France. J’ai été d’abord manoeuvre à Feyzin et dans d’autres entreprises de la région lyonnaise. J’ai suivi des cours du soir pour être maçon et grutier. J’ai passé des permis spéciaux pour conduire tous les engins de chantiers. J’ai ainsi pu travailler sur des chantiers à Lyon, Annemasse, Chalons, le Creusot...

Le 6 mai 1975,  je suis tombé d’une grue. J’ai perdu connaissance. Traumatisme crânien, déplacement des vertèbres cervicales... Je ne pouvais plus être grutier. J’ai suivi une formation de monteur-câbleur, puis à l’école de commerce et d’économie (ESSEC) pour être VRP. J’avais soif d’apprendre. 

Mes collègues m’ont élu délégué. Nous avons mené des luttes. J’ai aussi contribué à l’ouverture d’un nouveau consulat à Pontoise.

Enfin la retraite est arrivée. J’avais depuis des années des problèmes pulmonaires que les médecins attribuaient à une
tuberculose ancienne, la « maladie des pauvres »...

En avril 2019, j’étais à Lyon pour une manifestation. J’ai eu un malaise. J’étouffais. J’ai été hospitalisé à Lyon puis à Paris, à l’hôpital Bichat.

Après une biopsie et un scanner, le diagnostic est tombé : mésothéliome, cancer de la plèvre spécifique de l’amiante.

L’amiante, je l’avais utilisée chez Wanner Isofi, où j’ai travaillé de mars 66 à août 67 :  à l’isolation thermique de chambres froides ou au calorifugeage de tuyauteries. Nous dormions dans des hangars sur des matelas posés par terre. Nous chauffions  nos gamelles avec un réchaud à pétrole. Nous lavions nous-mêmes nos vêtements couverts de poussières.

J’ai déclaré ma maladie à la Sécurité sociale. Elle a d’abord classé le dossier. On m’a reproché de n’avoir pas donné tous les papiers. J’ai même été accusé d’être un fraudeur ! Enfin la maladie a été reconnue.

Quand le médecin m’a annoncé le diagnostic, j’ai demandé : « Est-ce que ça se soigne ? ». Il m’a dit oui. « Est-ce que ça se guérit ? ». Il m’a dit non. Je suis un militant ; j’ai décidé de m’impliquer dans la bataille contre ma maladie. J’ai supporté assez bien les chimios.

Ce que je vis mal, c’est d’être diminué. J’étais sportif. J’ai fait du foot  et du karaté. J’encadrais de jeunes footballeurs. J’avais une vie sexuelle épanouie. Aujourd’hui j’ai le sentiment de n’être plus bon à rien. Je suis sous oxygène en permanence, je me déplace avec un déambulateur. Je ne peux pas prendre ma douche tout seul. Je deviens irritable. Je supporte mal le contact de ma chemise sur ma peau. Mais je n’ai pas le droit de lâcher prise.

J’adresse un message à tous les jeunes : on ne nous avait pas dit que l’amiante était dangereux.  Nous n’étions ni informés ni protégés. Faites attention à vous ! Faites circuler l’information sur tous les produits dangereux ! Prenez soin de votre santé ! Luttez !

 


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°64 (novembre 2020)