Une comparaison entre les deux barèmes
Le groupe de travail mis en place par le gouvernement en 2017 a fait preuve d’une grande discrétion sur ses travaux. On peut cependant s’en faire une idée en lisant un long article paru en 2019 dans la Revue des maladies respiratoires. Rédigé par plusieurs universitaires, il propose une refonte du barème d’indemnisation des pathologies respiratoires. L’article est difficile à lire. Il utilise des notions médicales complexes. Il faut cependant faire l’effort de s’accrocher, si l’on veut comprendre la menace qui pèse sur les victimes du travail et réagir.
Les grandes lignes du projet
Cinq classes de sévérité
L’asthme et le cancer feraient l’objet de règles particulières. Pour les autres pathologies, seraient établies cinq « classes de sévérité » définies par des « fourchettes » de taux d’IPP :
1-9 %, 10-22 %, 23-39 %, 40-60 % et 61-100 %.
Un critère majeur : les résultats des EFR
Les épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR) détermineraient l’entrée dans une classe de sévérité. Les paramètres seraient les suivants :
- la CPT (capacité pulmonaire totale) qui peut être perturbé dans l’asbestose, les épaississements de la plèvre viscérale et quelquefois les plaques pleurales.
- Le VEMS (volume expiré maximal en une seconde) et le rapport VEMS/CV (capacité vitale), perturbés dans la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et éventuellement dans la silicose ou l’asthme chronique.
- Le rapport TLCO/VA (ou KCO) qui analyse la capacité de l’oxygène à passer des alvéoles pulmonaires dans les vaisseaux sanguins.
- La PaO2, qui mesure le taux d’oxygène dans le sang.
C’est le critère le plus dégradé qui conditionnerait l’entrée dans la classe de sévérité donnée.
Le pouvoir renforcé du médecin-conseil
Dès que la classe de sévérité est définie, tout pouvoir serait donné au médecin conseil de faire varier le curseur à l’intérieur de cette classe, en tenant compte des symptômes respiratoires (essoufflement, toux, crachats, douleurs thoraciques), du nombre d’hospitalisations et de la pression thérapeutique.
Connaissant leurs pratiques, on peut parier que beaucoup retiendraient le taux le plus bas dans une classe de sévérité donnée.
La prise en compte du préjudice professionnel
Le projet prendrait en compte le préjudice professionnel, c’est-à-dire les conséquences négatives de la maladie sur le déroulement de carrière et l’emploi (rarement indemnisées aujourd’hui).
Une comparaison entre les deux barèmes
J’ai réalisé des graphiques montrant la correspondance entre les paramètres des épreuves fonctionnelles respiratoires (la CPT, le VEMS, la PaO2) et le taux d’IPP. Conclusion : dans de nombreuses situations, le projet de nouveau barème est plus défavorable que l’ancien.
Les EFR dans les deux deux barèmes
- Pour la CPT, les courbes sont quasiment identiques de 10 % jusqu’à 60 % d’IPP (taux pour une CPT de 50 %). Mais, à 60%, la courbe s’interrompt sans que soit fixée une valeur précise pour le taux d’IPP de 100 %.
- Pour la PaO2,les courbes sont aussi quasi-identiques de 10 % à 60 % (taux pour une PaO2 à 60 mm de mercure). Mais, au-delà de 60 % d’IPP; on retrouve le même flou qui touche la classe de sévérité la plus grave ; ce qui dans les deux cas majore le risque de décision arbitraire du médecin conseil.
- Pour le VEMS,il y a une nette régression. Ainsi un VEMS à 30 % qui dans le barème actuel détermine un taux d’IPP de 100 % n’atteindrait que 60 % d’IPP si le projet de nouveau barème était adopté.
L’indemnisation des atteintes sans répercussion fonctionnelle
Certaines pathologies visibles à l’imagerie médicale peuvent ne pas avoir de répercussion mesurable sur la fonction respiratoire. Cette situation peut se produire pour des plaques pleurales, un épaississement de la plèvre viscérale, une asbestose ou une silicose.
Dans ce cas, sur quoi l’indemnisation se baserait-elle dans le nouveau barème ? Sur la première classe de sévérité (de 1 % à 9 %) ? Ce n’est pas clairement dit. Des précisions seraient nécessaires.
L’indemnisation des cancers
Le projet de nouveau barème reprend le taux d’IPP de 100 % pour les mésothéliomes et les tumeurs pleurales. Pour les cancers du poumon, il prévoit deux possibilités : 67 % pour les cancers opérés et 100 % pour les cancers inopérables.
Cette vision est simpliste. En effet dans le barème actuel le taux d’IPP est fixé entre 67 et 100 % selon la classification TNM qui repose sur trois critères : la taille de la tumeur (T), l’existence d’un envahissement ganglionnaire (N) et l’existence de métastases (M). En fonction des résultats de la classification TNM sont établis des degrés de sévérité, allant du stade I au stade IV.
En cantonnant le taux d’IPP à 67 % pour les cancers opérés, sans modulation jusqu’à 100 %, le projet de barème ne tient pas compte des facteurs aggravants pour un cancer opéré tels que l’adjonction d’une chimiothérapie et/ou d’une radiothérapie.
Le projet prévoit une réévaluation à 5 ans du taux d’IPP pour les cancers du poumon opérés.
Elle se base notamment sur l’importance du syndrome restrictif résiduel (mesuré par la CPT). Or la CPT n’est pas toujours fortement affectée après une lobectomie, car le poumon a des capacités de compensation. La victime risque donc de voir sa rente fortement diminuée par une réévaluation à 5 ans, dont le principe est issu du barème Fiva, mais dont la mise en oeuvre ainsi conçue risque d’être infiniment plus défavorable.
L’indemnisation du préjudice professionnel
Les taux d’IPP proposés dans le projet de nouveau barème sont ridicules : 6 % pour la perte d’emploi et
9 % si le reclassement est impossible !
Dr. Lucien PRIVET
Les barèmes des accidents du travail et des maladies professionnelles sont des repères pour fixer le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) qui déterminera le montant de l’indemnisation.
Depuis plusieurs années, ces barèmes sont la cible de critiques qui les présentent comme inadaptés aux données actuelles de la médecine.
En fait c’est le patronat et ses alliés dans le monde médical qui sont à la manœuvre, estimant que les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles sont trop bien indemnisées.
Une première alerte a eu lieu dans les années 2010. Un document confidentiel de la Caisse nationale d’assurance maladie avait alors été rendu public par la Revue Santé et Travail. Présenté comme une aide à la décision pour les médecins conseils des caisses primaires, c’était en fait un barème parallèle qui dénaturait les barèmes officiels en tirant outrageusement les taux d’IPP vers le bas.
La réaction du mouvement social avait stoppé cette tentative. Mais une autre se profile aujourd’hui.
En 2017 le gouvernement a mis en place une commission chargée de proposer une révision des barèmes. Les syndicats ont été tenus à l’écart de ses travaux. Elle prépare un retour en arrière et une diminution des sommes versées à de nombreuses victimes du travail.
Ce projet doit donner lieu à débat. Son adoption tel qu’il est, serait un recul pour les victimes du travail. Nous pouvons d’ores et déjà poser les revendications suivantes :
- Se référer pour la courbe du VEMS au barème FIVA, (plus équitable) pour éviter un écrasement des taux d’IPP ;
- Fixer des valeurs précises pour les atteintes justifiant un taux d’IPP de 100 %, en ce qui concerne la CPT, le VEMS et la PaO2 ;
- Moduler les taux d’IPP des cancers opérés sur la base des stades de gravité (TNM)
- Refuser la réévaluation à 5 ans du taux d’IPP attribué pour un cancer opéré (sur évaluation du syndrome restrictif.).
- Préciser les taux d’IPP pour les atteintes repérées à l’imagerie sans répercussion fonctionnelle.
NB :
- Le barème FIVA fixe un taux d’IPP plancher de 5 % pour les plaques pleurales, 7 % pour les épaississements de la plèvre viscérale et 10 % pour l’asbestose.
- Pour la silicose, dans le barème actuel les images seules sont indemnisées avec des taux d’IPP de 10 à 30 % selon l’importance des lésions. La silicose se caractérise par des micronodule et nodules pouvant s’agglutiner formant des masses pseudo-tumorales parfois spectaculaires.
Il faut engager une réflexion sur l’indemnisation du préjudice professionnel. Une victime qui perd son travail à cause d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle devrait bénéficier d’une compensation au titre du préjudice économique au niveau du salaire qu’elle avait avant, tant qu’elle n’a pas retrouvé un travail avec un niveau de salaire équivalent.
Dr L. P.
Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°63 (juin 2020)