Pendant la crise, les soignants ont été applaudis tous les soirs à 20 heures par des Français reconnaissants et admiratifs de ces femmes et ces hommes qui montaient en première ligne, au péril de leur vie et s’investissaient, jusqu’aux limites de l’épuisement, pour soigner, réconforter, sauver des vies. Le 25 mai s’est ouvert le « Ségur de la santé » annoncé comme une « grande concertation ». Le temps est venu de voir la vérité en face : les soignants ont dû affronter cette pandémie avec un hôpital public « fragile, démuni, désossé » par les politiques insensées des gouvernements successifs qui ont voulu les faire fonctionner comme des entreprises commerciales. Tel est le bilan tiré par un collectif de soignants qui a interpelé le président Macron.

 

A la veille du « Segur de la Santé » une lettre ouverte à Emmanuel Macron est parue dans Libération. Lancée à l’initiative du Professeur André Grimaldi, elle a rassemblé de nombreux signataires, parfois membres du collectif inter-urgences ou du collectif inter-hôpitaux, parfois engagés à titre individuel, qu’ils soient médecins, cadres de santé, infirmières, aides-soignantes ou brancardiers. 

Cette lettre  fait une critique très sévère des politiques passées.

« Des cris d’alerte jamais entendus »

Depuis des années et jusqu’à la veille de la pandémie, les gouvernants sont restés sourds aux multiples alertes des soignants sur les conséquences catastrophiques du manque de moyens et d’effectifs. Sourds aux demandes des personnels des Ehpad, des psychiatres, des urgentistes... Sourds au cri d’alarme inédit lancé au début de cette année par 1300 chefs de service qui ont décidé de démissionner de leurs fonctions administratives (du jamais vu !). Il n’ont même pas prêté attention à l’alerte lancée en mars dernier, juste avant la pandémie, par le Conseil économique, social et environnemental unanime.

« L’hôpital n’en peut plus »

Quand le Covid-19 est arrivé, il a fallu l’affronter dans les pires conditions. Dans les Ehpad en sous-effectif chronique, « ce sont les résidents, nos aînés, et les personnels qui ont payé et payent encore le plus lourd tribut à cette pandémie. » Et dans les hôpitaux « il a fallu courir après les lits, après les personnels, après le matériel, après les médicaments. Et ce n’est pas fini.  Aujourd’hui, les réani­mations se vident petit à petit, les services de rééducation débordent mais l’épidémie n’est pas terminée et les patients non Covid reviennent enfin, encore plus fragiles. L’hôpital n’en peut plus. L’exceptionnel de quelques ­semaines ne pourra pas tenir ­plusieurs mois. » 

Un « manifeste pour des jours heureux »

Les initiateurs de la lettre ne se contentent pas de faire un bilan critique des politiques passées. Ils veulent sortir d’une situation insupportable qu’on ne règlera pas à coup de mini-rallonges bugétaires et de primes. « Il faut tenir. Mais les combattants épuisés vont déserter si le « plan massif » que vous avez annoncé n’est pas à la hauteur des enjeux. »’

Les initiateurs de la lettre ont rédigé un « Manifeste pour des jours heureux », qui trace les grandes lignes d’une réforme globale du système de santé. Ils proposent la création de « cinq services publics pour sauver la santé :  assurance-maladie, soins et prévention, sécurité sanitaire et santé publique, enseignement et formation continue, recherche  ». Ils proposent aussi «  financer de façon inaliénable la Sécurité sociale  », qui prendrait en charge à 100 % «  un panier large de prévention, de soins et de services  », prônant un accès universel aux soins qui mettrait fin aux inégalités sociales et territoriales.

Limiter la tarification à l’acte

À l’hôpital, ils veulent un plan de rattrapage pour la psychiatrie, plus de lits d’aval des urgences, des quotas de personnel, la limitation de la tarification à l’acte ou encore la participation des usagers à la gouvernance.

Autres demandes : revaloriser les carrières des professions de santé et de la recherche, transformer les études de médecine qui incluraient les sciences humaines. Ils proposent aussi «  une politique publique industrielle de santé et du médicament pour produire à prix coûtant, au niveau de la France et des pays européens  » les médicaments et équipements indispensables.

Tirer les leçons de la pandémie

Tirant les leçons de la pandémie de Covid-19, le texte propose de «  s’assurer de stocks de sécurité pour au moins six mois et d’imposer un rapport et un vote annuel du Parlement sur l’état des stocks stratégiques  ».

« Vos paroles ne suffisent plus »

Les signataires soulignent que désormais les paroles - même celles d’un Président de la République - ne suffisent plus. Il faut faire vivre le projet d’un « ­hôpital public fort, véritable ­recours au milieu de son territoire, en connexion permanente avec les médecins libéraux, les structures privées et tous les collègues des soins primaires. »

« Montrez que nous pouvons compter sur vous ! »

Le texte se termine par une interpellation directe au Président de la République : « Vous avez pu compter sur nous, monsieur le Président, montrez-nous que nous pouvons désormais compter sur vous. Mettez en œuvre le programme de santé des « jours heureux » proposé par les professionnels de santé ! »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°63 (juin 2020)