« L’évaluation des risques chimiques doit être strictement indépendante des lobbys industriels »
« Les projets du gouvernement ne répondent pas à cette exigence élémentaire »

Quelles sont les nouveautés apportées par la réglementation européenne REACH ?

François Desriaux : Elle prévoit que les fabricants et importateurs de substances chimiques, produites ou importées à plus d’une tonne par an et commercialisées depuis plus de 20 ans, devront enregistrer ces substances auprès d’une agence centrale et fournir des données sur leurs caractéristiques et leur utilisation.

Michel Parigot : REACH est le résultat d’un long combat mené à l’échelle européenne par des syndicats et des associations. Imposer aux industriels une évaluation initiale des substances qu’ils produisent et mettent sur le marché est une exigence de base. Mais il est vital que soient mises en place des procédures qui contrôlent l’évaluation de ces substances. REACH délègue cette tâche aux États membres de l’Union. La France a en charge l’évaluation de 14% des substances et doit exercer un droit de regard sur l’évaluation des autres substances réalisée par d’autres États. Le nombre de produits à évaluer est considérable : près de 30 000 molécules.

Comment est-il prévu d’organiser cette évaluation en France ?

François Desriaux : Une des missions de l’Agence française de Sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (l’Afsset)est précisément d’évaluer les dangers des produits pour les salariés et pour l’environnement et d’émettre des préconisations. C’est ce qu’elle vient de faire par exemple pour les fibres céramiques réfractaires. La logique aurait donc voulu que ce soit l’Afsset qui gère cette évaluation des risques chimiques dans le cadre de la réglementation européenne, en toute indépendance, avec son expérience et les protocoles qu’elle a elle-même définis. Mais les choses se sont passées autrement : il est prévu qu’elle délègue cette mission d’évaluation à un autre organisme : le Bureau d’évaluation des risques chimiques (Berpc).
Qu’est-ce que le Berpc, et pourquoi lui avoir délivré une sorte de délégation de pouvoir permanente pour une mission aussi importante l’évaluation du risque chimique ?

Michel Parigot : le Berpc a été créé à l’initiative de l’Institut National de l’environnement industriel et des risques (l’Ineris). Il faut savoir que l’Ineris n’a rien à voir avec une agence. Juridiquement, c’est un établissement public à caractère industriel et commercial (un EPIC). Il passe des contrats avec les industriels de la chimie, dont il est client. Ce n’est donc pas un organisme indépendant des industriels, puisqu’il entretient avec eux des rapports commerciaux.
Lorsque se déroulèrent les discussions sur la nouvelle réglementation européenne, l’Ineris a très vite compris, qu’étant juge et partie, il ne pouvait postuler, en tant que tel, à l’évaluation des substances chimiques, telle qu’elle était définie dans ce nouveau cadre européen. Il a donc fallu fabriquer un « faux nez », pour l’Ineris et pour l’Inrs, en créant le Berpc en 2005. En pratique l’Afsset n’aura aucun contrôle réel sur le Berpc et sera réduite à avaliser ses conclusions en fin de course. Son conseil scientifique n’a même pas été consulté sur ce projet !
Difficile de se retrouver dans cet emboîtement de structures-gigognes !

Quels sont les rapports entre BERPC et INERIS ?

Michel Parigot : Formellement, le Brpc est une association loi de 1901 indépendante. Mais son conseil d’administration est constitué des directeurs opérationnels de l’Ineris et de l’Inrs et il n’a pas de personnel propre. Ce sont des personnels de l’Ineris et de l’Inrs qui prennent la casquette Berpc, quand la tâche relève du Berpc !… Avec ce mélange des genres on pourrait même imaginer qu’un industriel paye d’abord l’Ineris pour évaluer son produit, avant que cette évaluation ne soit revue et contrôlée par l’Ineris sous couvert du Berpc !...

François Desriaux : ce curieux dispositif est soutenu avec vigueur par le Ministère de l’Environnement, qui semble le considérer comme une chasse gardée. Le Ministère du travail et celui de la Santé, pourtant concernés, sont passifs. Tout cela conduit à s’interroger sur l’osmose entre les personnels de l’Ineris et ceux du Ministère de l’environnement. Beaucoup sont des anciens d’X Mines...
Il y a là une sorte de réseau, qui s’est déjà manifesté dans le dossier du nucléaire.

Michel Parigot : les victimes de l’amiante ont déjà fait l’expérience du CPA. Le Comité Permanent Amiante était une structure informelle, créée à l’initiative des industriels qui a donné pendant des années une caution scientifique à l’utilisation de ce matériau cancérogène. Sans faire d’analogie abusive, on voit ce que peut coûter le choix de confier l’évaluation des risques à des experts qui ne sont pas indépendants de l’industrie.

François Desriaux : une grande leçon de l’affaire de l’amiante est la nécessité d’une séparation absolue entre les industriels qui génèrent un risque et les experts qui l’évaluent et le contrôlent. Le producteur aura toujours tendance à minimiser les risques de ses produits. Il n’y a pas de contrôle réel sans indépendance.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°24 (septembre 2007)