«  Nous attendions 400 personnes. Nous nous sommes retrouvés à 2000,
contre la baisse des indemnisations octroyées aux victimes par le Tass de Lille
 
 »

« L’effondrement des indemnisations du Tass de Douai a été vécu très durement par les victimes, explique Pierre Pluta. C’était une humiliation, une véritable négation de leurs souffrances. Elles avaient l’impression qu’on les faisait passer pour des menteurs, des profiteurs qui ne songeaient qu’à piller les caisses de la Sécurité sociale.… Il fallait se mobiliser pour réagir. »

Dès 8 heures du matin…

La journée du 9 mai commence sur les chapeaux de roues. A Douai, l’audience est prévue à neuf heures. Dès huit heures, à Dunkerque, les adhérents de l’Ardeva se rassemblent sur le parking, où dix cars les attendent. Ils sont venus manifester leur solidarité en accompagnant les victimes jusqu’à la Cour d’appel.
Arrivées à Douai, 600 personnes stationnent une demi-heure devant le tribunal, Puis, elles reviennent vers la place où les cars de province commencent à arriver.
La matinée avance. Des cars, de plus en plus nombreux, arrivent de partout : Paris, Thiant, Saint-Nazaire, Condé-sur-Noireau, Cherbourg... parfois de très loin : il y a des délégations de Bordeaux, Andancette, Arjuzanx.
Pierre cache mal son émotion : « Au départ, nous attendions 400 personnes. Nous nous sommes retrouvés à 2000 ! Je ne m’attendais pas à une telle mobilisation. Voir les bus arriver les uns après les autres ; savoir que pour venir en car avec leur association, certains se sont levés à quatre heures du matin et ont traversé toute la France ; voir tant de gens rassemblés, tant de malades et de veuves, c’est quelque chose de formidable. Nous avons vu que toutes les victimes se sentaient concernées et comprenaient que cette action avait un enjeu national »

Un cortège digne et déterminé

Le cortège se met en marche en silence, impressionnant de dignité et de détermination. « L’amiante brise nos vies. Pour une juste indemnisation des préjudices » dit la banderole de tête . Les pancartes parlent d’elles-mêmes : « La Justice, pas la Loterie », « Pour une indemnisation équitable ». Dans le cortège, on reconnaît la CGT de l’usine des Dunes, les mineurs CFDT de Lorraine, amis fidèles au poste...
Il fait gris. Il bruine. Il fait froid. Malgré la fatigue du voyage et la maladie, personne ne se plaint. Les victimes ont conscience d’être une force…

La manifestation arrive à destination. La salle n’a que 400 places assises. Elle se remplit à ras bord. Les gens s’entassent dans les travées et au fond de la salle. Comment y faire tenir 2000 manifestants ?
« J’ai discuté avec les RG, explique Pierre. Ils s’inquiétaient pour la sécurité des participants. Ce sont eux qui ont téléphoné au maire pour lui demander de faire ouvrir la salle du premier étage. »

Dès ce moment, deux assemblées se dérouleront en même temps : l’une au rez-de-chaussée, l’autre au premier. Les escaliers sont noirs de monde. Malgré l’ouverture des deux salles, certaines personnes n’ont pas pu rentrer. Les orateurs se relaient, en bas et à l’étage, devant des auditoires attentifs gagnés par l’émotion.

François Desriaux dresse un constat inquiétant : « On est confronté à cette baisse des indemnisations à Marseille, Aix-en-Provence, Mont-de-Marsan, Douai . Le Medef rêve tout haut de remettre en cause nos indemnisations ».
Pierre Pluta remercie chaleureusement les associations venues apporter leur solidarité et appelle leurs responsables à venir le rejoindre sur l’estrade. Ils y montent, un par un, sous les applaudissements de l’assemblée.
Pierre prend ensuite la parole : « Comment accepter que pour deux salariés qui avaient le même métier, qui ont fait le même travail pour le même employeur, qui sont touchés par la même maladie avec le même taux d’incapacité, qui ont les mêmes souffrances, le même tribunal accorde 45 000 euros à l’un et zéro euro à l’autre ? C’est inacceptable ! »
« Nous sommes confiants et persuadés que la Cour d’Appel remettra les choses dans l’ordre et que les décisions rendues seront équitables. »

Suivent alors trois témoignages sobres et poignants :
Jean Kottelat apprend en 1995 qu’il est contaminé par l’amiante. Son pneumologue, expert auprès du Comité Permanent Amiante le rassure :
« Ce n’est rien. Vous serez centenaire ». A l’institut Gustave Roussy on lui trouve une maladie bien plus grave.
« On nous dit que les plaques pleurales, c’est comme un coup de soleil. J’ai plutôt l’impression d’avoir été brûlé au troisième degré ». Il manifeste aujourd’hui avec sa bouteille d’oxygène...
Nicole Boitel, très émue, raconte comment elle a accompagné son mari, jusqu’au bout… Son courage, sa détermination impressionnent. La salle est bouleversée.
Mme Le Veziel prend à son tour la parole. Son mari, électricien aux chantiers navals de la Normed, est décédé à 53 ans d’un mésothéliome. Il avait d’abord eu des plaques pleurales. Elle aussi témoigne de ces moments terribles vécus aux côtés du compagnon qu’elle a perdu. Son témoignage est un appel à continuer la lutte.
Au tribunal, l’audience se termine. Michel Ledoux et Sylvie Topaloff sont de retour, encore tout échauffés de leurs plaidoiries. Devant un public attentif, ils résument les arguments qu’ils ont développés et donnent quelques impressions d’audience…

L’attente anxieuse du verdict

Il est temps de se séparer. La route est longue. Certains prennent encore le temps d’une brève pause casse-croûte, avant de rentrer.
Émus, crevés, ils remontent dans les cars. Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre le verdict…
 
« Nous attendions la décision de la Cour d’appel avec une grande anxiété, avouera Pierre plus tard. Nous avions conseillé à des victimes d’aller en faute inexcusable de préférence au Fiva. Elles avaient attendu trois ans… Et puis, au terme d’une longue procédure, certaines s’étaient retrouvées avec zéro euro ! Puis elles avaient encore attendu un an l’audience de la cour d’appel. Notre angoisse était à son comble : qu’allaient-elles penser de nous, si la cour d’appel confirmait l’arrêt du Tass ? »

La Cour d’appel a remis les pendules à l’heure

Heureusement les arrêts rendus par la Cour d’appel sont favorables aux victimes : pour des plaques pleurales à 5%, les indemnisations octroyées par le tribunal oscillent entre 25.000 et 30.000 euros.
C’est moins que les indemnisations octroyées il y a deux ans, mais beaucoup plus que ce qu’accorde le Fiva.
« Nous avons tous ressenti ces décisions comme une victoire », explique Pierre. Victoire judiciaire bien sûr, mais aussi victoire morale :
« La Cour d’appel de Douai a désavoué le Tass de Lille. Elle a pris en compte les souffrances des victimes. Elle a remis à l’heure les pendules de la Justice. »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°24 (septembre 2007)