Une des principales revendications de la manifestation du 13 octobre est « la réparation intégrale des préjudices de toutes les victimes du travail ». Que signifie ce terme ?
Pour le comprendre, il faut revenir à la loi de 1898, qui a créé en France un droit spécifique pour les victimes du travail.

L’histoire remonte à la loi de 1898

Cette loi, élargie en 1919 aux maladies professionnelles, instaure un système d’indemnisation pour les victimes du travail et crée les fondements, toujours en vigueur aujourd’hui de la reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Il faut se replacer dans le contexte économique et industriel de l’époque, où les ouvriers victimes d’un accident du travail voyaient leur vie et souvent celle de leur famille basculer dans la misère la plus totale. Pour obtenir une indemnisation suite à un accident, l’ouvrier - ou sa famille - devait engager une action judiciaire contre l’employeur. Et, pour avoir gain de cause, il devait prouver d’abord que ce dernier avait commis une faute et ensuite qu’il y avait un lien de causalité entre cette faute et son accident du travail. On peut facilement imaginer que dans le contexte de l’époque, cela ne se faisait jamais ou quasiment jamais.
Avec la loi de 1898, puis celle de 1919, un droit spécifique a été créé : on a séparé les accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) du droit commun. Il devenait alors possible d’être indemnisé en cas d’accident de travail sans avoir à prouver de faute de l’employeur, ni le lien de causalité.
Le fondement juridique en est la présomption d’imputabilité : un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail quelle qu’en soit la cause doit être considéré comme un accident du travail. Une maladie imputable au travail doit être « automatiquement » présumée d’origine professionnelle si elle remplit les critères d’un tableau de maladies professionnelles.
Les employeurs ont échangé cette indemnisation simplifiée pour les victimes contre une indemnisation amoindrie (« forfaitaire ») et leur immunité civile (il faudra attendre 1941 pour que cette immunité soit levée si l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur est démontrée).
Dans les faits, cette notion d’automaticité est toute relative : une victime qui veut faire reconnaître une maladie professionnelle n’a pas à apporter la preuve du lien entre son travail et sa maladie (si tous les critères du tableau sont remplis, ce lien est présumé) ; elle doit, par contre, apporter la preuve de la matérialité de la maladie et de l’exposition au risque.
La loi de 1898 fut donc le résultat d’un compromis social, négocié après vingt ans des débats houleux au parlement.

Un système devenu injuste

Si à l’époque - et pendant longtemps - ce système de réparation, spécifique aux accidents et aux maladies liées au travail a représenté une véritable avancée, il est aujourd’hui devenu injuste.
En effet, l’évolution de la jurisprudence dans le droit commun a permis que des personnes victimes dans leur vie courante soient indemnisées sans avoir obligatoirement à prouver la faute d’un tiers responsable.
Certes la jurisprudence a aussi évolué pour les accidents du travail et les maladies professionnelles : la définition de la faute inexcusable de l’employeur a été élargie par les arrêts amiante rendus le 28 février 2002 par la Cour de Cassation. Mais cette action devant les tribunaux des affaires de la Sécurité sociale n’est pas toujours possible ni toujours assumée par les victimes qui pourraient l’engager.
Aussi, pour l’écrasante majorité des victimes du travail, qui ne va pas en justice, le fait d’être reconnu n’ouvre droit qu’à une indemnisation forfaitaire, donc nécessairement partielle. On continue, dans le système AT-MP, à ne prendre en charge qu’une partie des conséquences que peut avoir la maladie ou l’accident lié au travail.

La réparation intégrale

Dans un rapport de 2001, Roland MASSE reprend l’article 1 de la résolution adoptée en 1975 par le Conseil de l’Europe qui définit la réparation intégrale des dommages en cas de lésions corporelles : « Compte tenu des règles concernant la responsabilité, la personne qui a subi un préjudice a droit à la réparation de celui-ci en ce sens qu’elle doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit ».
Ce droit à la réparation intégrale implique que soient pris en compte tous les préjudices, dont la perte de capacité, les pertes financières, la souffrance physique et morale, la perte de qualité de vie et le préjudice esthétique.
Il pose cependant des problèmes d’application. S’il est aisé de compenser une perte financière, comment réparer l’irréparable : la perte d’autonomie due à une maladie grave, la perte d’un être cher ?
L’argent ne peut remplacer ce qui a été perdu, mais l’indemnisation d’une victime ou d’un ayant droit de ces préjudices est d’abord la reconnaissance de sa dignité d’être humain : sa souffrance n’est pas niée, occultée, elle est reconnue, respectée et indemnisée.
Ces principes de droit commun, élaborés au fil du temps, se sont appliqués pour les victimes d’accidents de la route et les victimes du sang contaminé. Mais, un siècle après la loi de 1898, le droit de la Sécurité sociale n’accorde toujours aux victimes du travail qu’une réparation forfaitaire. Elles ne sont indemnisées de leur souffrance morale et de leur perte de qualité de vie que si elles vont en justice et parviennent à démontrer que l’employeur a commis une faute.
Avec la multiplication des actions en faute inexcusable (plus de 10.000 pour l’amiante depuis la création de l’Andeva) et la création du FIVA en 2002, les principes de la réparation intégrale s’appliquent aux victimes de l’amiante, dont la grande majorité sont des victimes du travail.

Les victimes de l’amiante ouvrent une brèche

Plusieurs rapports (Masse en 2001, Yahiel 2002), ont conclu à la nécessité d’une réforme du système de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, tendant à remplacer la réparation forfaitaire par une réparation intégrale.
Pourtant, cinq ans après la mise en place du Fiva et la publication de ces rapports, cette réforme, demandée par la Fnath et l’Andeva n’a pas eu lieu. Et c’est une remise en cause générale de ces avancées que réclame aujourd’hui le MEDEF.
Il veut faire disparaître la notion de présomption d’imputabilité, qui facilite la reconnaissance d’une maladie en dispensant la victime d’apporter la preuve du lien entre le travail et la maladie.
Il veut faire baisser le niveau des indemnisations et donner une nouvelle définition juridique de la faute inexcusable, plus restrictive donc plus favorable aux employeurs.
Ils ont malheureusement trouvé des syndicalistes pour cautionner leurs projets en signant le scandaleux accord sur la réparation et la prévention des risques professionnels. Il ne faut pas les laisser faire : cet accord ne doit pas être transcrit dans la loi.
La réparation forfaitaire est injuste. L’affaire de l’amiante doit servir à tirer vers le haut les autres victimes du travail. Avec la FNATH, nous nous mobilisons pour imposer une réparation intégrale de tous les préjudices des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°24 (septembre 2007)