DOMINIQUE SANTINI

« C’est notre histoire à nous, les mineurs de Canari »

Dominique Santini a été exposé aux fibres d’amiante pendant 4 ans, de 1962 à 1965. Il est atteint de plaques pleurales.

Quand on voit la date des examens arriver on angoisse. J’ai vu souffrir mon père. J’ai toujours vécu ici, il reste à peine une dizaine de personnes ayant travaillé à la mine encore en vie, mais elles aussi sont touchées. Ces anciens ouvriers ont aujourd’hui environ 85 ans.
J’étais à l’ensachage. On mangeait de l’amiante. Si nous avions su, nous ne serions jamais rentrés dans cette usine.
On jouait avec l’amiante. Après huit heures de boulot, on avait le nez et les oreilles bouchés par la poussière.
Sur nos postes de travail à environ 2 mètres on ne se voyait plus. Après 4 heures et après un balayage il y avait un tapis de 20 cm d’épaisseur. J’ai entendu un père dire à son fils « augmente l’oxygène, je ne peux plus respirer ». Le pauvre il n’a pas tenu longtemps il est mort.

J’ai des difficultés à respirer, j’ai « la trouille ». Des gars en pleine forme au mois d’août sont morts en octobre, c’est foudroyant !
Quand l’usine a fermé tout le monde a eu peur de l’avenir. L’usine est toujours pareille, cela fait 40 ans que l’on parle de la faire tomber mais il faut des sous.
Il y a eu des continentaux à qui l’employeur payait le voyage retour une fois par an pour les vacances. Ici ils étaient bien ils pêchaient ils chassaient, ils ont pleuré quand il ont dû partir. D’autres ont vite compris ce qui les attendait, et sont repartis par le premier bateau...
Au cours des contrôles médicaux on ne nous trouvait jamais rien, RAS.
Thalassa a fait un reportage il y a 4 ans, tous ceux qui étaient là ce jour là sont morts. Pour moi on a servi de cobaye.
A l’époque j’avais 20 ans. Dans mon équipe tous sont morts du chef d’équipe au contrôleur. Ça fait mal, on s’était fait des amis mais il n’y a plus personne.

Mon frère est mort à 60 ans juste à la retraite. Il a été hospitalisé pour des problèmes respiratoires, il était épuisé, il m’a dit « je sors dimanche » mais il a du être réanimé et il n’est jamais ressorti vivant de l’hôpital. Quand je rentrais de l’usine, j’époussetais mes vêtements et secouais par la fenêtre les sacs d’amiante que je ramenais à ma mère pour qu’elle les raccommode. Dans le village tout le monde a mangé de l’amiante. C’est notre histoire à nous les mineurs de Canari .


ARMAND GUERRA, maire de Canari

« A la fermeture de l’usine, on voyait l’amiante au fond de l’eau »

Monsieur Guerra a travaillé à la mine de 1959 à 1964 à la fonction d’acheteur. Il s’occupait aussi du transport de l’amiante et était souvent au chargement. Il n’a aucune pathologie de l’amiante.

A l’époque il y avait 1000 habitants, on était heureux, on avait du travail, nous faisions des fêtes et il régnait une ambiance joyeuse. On allait d’un village à l’autre notamment à Albo, et on se retrouvait souvent entre famille de collègues de travail surtout à Canari qui était la plus animée.

Au travail il y avait des différences entre l’encadrement et les ouvriers, entre les salariés d’encadrements et de l’administratif, il y avait certaines réserves. J’ai découvert les risques de l’amiante en 1963, lorsque des radios sont arrivées par erreur (...!) dans les mains d’un syndicat, alors cela a jeté un froid et on a dénombré des cas d’asbestose de personnes qui travaillaient à la mine depuis une quinzaine d’années. De là, on a essayé de faire venir un médecin du travail, la DDASS, il y a eu aussi quelques mouvements sociaux mais très peu de grèves.

Tout les ans au mois d’octobre et ce depuis « 13 ans » nous avons des projets pour l’usine de Canari, le dossier est à l’administration, à l’époque il était chiffré entre 40 et 50 millions de francs. En tant que commune nous n’avons aucun pouvoir, nous sommes propriétaires des murs, nous avons sécurisé les bâtiments avec l’aide de l’état.
Maintenant la mer reprend ses droits, 15 millions de tonnes de stériles sont partis à la mer avec des fibres. Sur les plages on ne risque rien, les galets sont polis, si ils sont cassés par contre ?!
A la fermeture de l’usine on voyait l’amiante au fond de l’eau.


GILBERT GRANINI

« J’ai perdu mon père, deux oncles et un cousin germain »

Les chefs étaient méchants mais eux aussi avaient la pression.
J’ai perdu mon père à l’age de 62 ans, il a travaillé en qualité de mineur de l’ouverture à la fermeture de l’usine.
J’ai perdu deux oncles, frères de mon père, qui n’avaient pas 70 ans et un cousin germain fils d’un de mes oncles.
Pour les dossiers, ils ont pratiquement tous été faits. Le problème c’est les attestations : comme tout le monde disparaît cela devient de plus en plus difficile d’en obtenir.
Ma sœur a des plaques pleurales, elle a 67 ans.
Beaucoup d’autres femmes ont des problèmes pulmonaires, certaines ont très peur de passer des examens.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°27 (octobre 2008)