Patrick Thourigny, président de l’Addeva Yonne, René Vincent, président du Cerader 24 et Jean-Paul Teissonnière, avocat des personnes exposées, font le point sur les procédures judiciaires en cours.


Patrick THOURIGNY

L’Addeva Yonne s’est créée fin 2003. Cette action judiciaire a été engagée l’année suivante.
ZF Masson avait décidé d’utiliser la cessation anticipée d’activité amiante pour s’offrir un plan de licenciements à moindre coût. Jean-Paul Teissonnière nous a proposé d’aller aux prud’hommes pour réclamer un complément Acaata payé par l’employeur. Notre réaction fut immédiate : « On y va, sans hésiter »…

Sur l’usine, la situation se dégradait. Il n’y avait plus de travail. La direction avait affiché les noms de ceux qui pouvaient partir. Les gens étaient amers : on les poussait à partir en perdant de l’argent, et la direction faisait des économies sur leur dos ! Une quarantaine ont déposé plainte. Nous étions les premiers en France …
L’affaire a été plaidée le 18 mai 2006 devant les prud’hommes de Sens. 450 personnes des associations de l’Andeva étaient venues nous soutenir. La salle était trop petite. Quelques dizaines de personnes ont suivi les débats. Les autres se sont réunis dans une grande salle prêtée par la mairie.

La bataille judiciaire dure depuis quatre ans. Les débats ont d’abord porté sur la compétence du tribunal. La cour d’appel de Paris nous a donné raison. La direction ira en cassation sur la recevabilité.
Le 12 juin 2008, le débat sur le fond a eu lieu devant la cour d’appel de Paris. Là aussi, la salle était trop petite. Jean-Paul a fait un compte rendu pour tous ceux qui étaient restés dans le couloir. La cour d’appel rendra sa décision le 18 septembre.


René VINCENT

Le tribunal de Bergerac a bien compris la situation, en évoquant une perte d’espérance de vie et un préjudice d’anxiété. Sur les 18 personnes qui avaient engagé l’action à Bergerac, une est tombée malade, une autre est en dépression. Notre action est légitime. Sur 155 dossiers gérés par le Cerader 24, on compte 43 décès. La moyenne d’âge à la date du décès est de 62 ans… Partir plus tôt sans handicap financier si on a été exposé à l’amiante, ce n’est pas un privilège, c’est un droit.

Le jugement des Prud’hommes de Bergerac a eu un impact médiatique énorme. L’information est passée sur toutes les chaînes de télé.
Notre mobilisation n’a jamais faibli. Fin 2007, il y a eu un rassemblement, pour le dépôt de la plainte. En mars 2008, une manifestation régionale à Bergerac. Après le jugement, nous avons continué : le tribunal avait décidé l’exécution provisoire, c’est-à-dire le versement des indemnisations. Alsthrom ne voulait pas payer. Il a fait un appel en référé, en invoquant les difficultés financières de l’entreprise. Nous avons rassemblé 80 personnes devant la cour d’appel de Bordeaux, le 30 juillet ! Jean-Paul Teissonnière a rappelé dans sa plaidoirie que le groupe avait fait un milliard 800 millions de chiffre d’affaire... La manœuvre a échoué : la cour d’appel débouté Alsthrom, en lui infligeant une pénalité financière. L’audience sur le fond aura lieu en 2009...


Jean-Paul TEISSONNIERE

Dans ces affaires, deux faits sont indiscutables :

1) Les salariés qui partent en cessation anticipée d’activité amiante ont une perte de revenu. Ils subissent un préjudice économique.
2) En laissant ses salariés inhaler des poussières d’amiante, l’employeur a commis une faute pour laquelle, il a déjà été condamné.

En droit, la question posée est donc la suivante : existe-t-il une chaîne de causalités qui relie la faute commise par l’employeur et la perte de revenu des salariés ?
Nous disons qu’elle existe. Les avocats des employeurs soutiennent que les salariés avaient un « libre choix ». En fait le choix entre partir et ne pas partir était surdéterminé par la faute de l’employeur : le salarié n’avait le choix qu’entre deux maux : partir avec une perte de revenu ou rester en risquant d’être emporté par une maladie grave, sans avoir profité de sa retraite.
Chez ZF Masson le document le plus accablant sur la faute de l’employeur, est le dossier qu’il a lui-même écrit pour faire inscrire l’entreprise sur les listes ! Voulant se séparer à bon compte de ses salariés sans payer d’indemnités de licenciement il a lui-même souligné l’importance de la contamination…
On a présenté le complément Acaata comme une demande exorbitante. Il s’agit en fait d’un problème classique de responsabilité contractuelle.
Le préjudice subi doit être réparé. En droit commun, c’est une évidence. Pourquoi le droit du travail ferait-il exception en instaurant une responsabilité limitée pour les employeurs ?


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°27 (octobre 2008)