Henri Pézerat écrivit de nombreux documents en réponse à des questions posées par des victimes ou des militants d’associations. Le texte qui suit est paru en février 2007.


Après examen par le médecin de sa radio et de son scanner, le patient lui pose souvent la question : « Docteur, est-ce que j’ai de l’amiante dans les poumons ? » ou, s’il ne le fait pas, c’est par timidité, mais il pense que la réponse est dans la lecture, l’examen de ces clichés radiographiques. Et, très souvent, les médecins ne le détrompent pas et répondent par oui ou non sans explication supplémentaire. D’où la nécessité d’une mise au point pour que le patient ait tous les arguments en main face au médecin conseil de la Sécurité Sociale, face aux employeurs, et aussi parfois face au médecin traitant ou au spécialiste.

Que voit-on à la radio
ou au scanner ?

De la radio ou du scanner on peut tirer beaucoup d’informations, sauf une : la présence ou l’absence d’amiante dans les poumons. Que cela soit clair : les fibres d’amiante ont un diamètre beaucoup trop petit pour être repérables par une telle technique.

Les patients qui posent cette question sont en général ceux qui ont été exposés aux poussières d’amiante, et qui ont donc, pendant des périodes données, augmenté leur « charge » en amiante dans les poumons. Et cet amiante a entraîné des modifications des tissus pulmonaires et pleuraux. Ce sont ces modifications des tissus pulmonaires et pleuraux que le médecin peut observer en examinant les clichés du radiologue.

Le principe de la radiographie est simple : un faisceau de rayons X irradie le thorax et le traverse, plus ou moins complètement selon que les tissus humains vont plus ou moins l’absorber et seront plus ou moins transparents. Les os par exemple apparaissent en blanc sur le cliché placé derrière le patient parce qu’ils sont les tissus les plus absorbants pour les rayons X (les moins transparents.) Les rayons X n’ayant pu traverser les os, ils n’arrivent pas jusqu’au film qui n’est donc pas impressionné.

Mais, dans le cas qui nous occupe, radiologues et médecins ne cherchent pas la trace d’une fracture des os. Ils cherchent dans les images des plèvres et des poumons de petites différences dans les teintes grises qui révèlent soit une fibrose, soit un cancer. Radios et scanners (encore appelés TDM) ne permettent donc pas de répondre à la question originelle sur l’amiante dans les poumons, mais permettent - dans certaines limites - de repérer les réactions de l’organisme à long terme, suite à une agression antérieure par l’amiante.

Mais attention, le médecin ne lit pas une radio ou un scanner. Il l’interprète, et ceci explique qu’il n’est pas rare de voir un même cliché interprété différemment par deux médecins, ou, autre situation, deux clichés obtenus à quelques jours d’intervalle dans deux lieux différents, conduire à des interprétations différentes.

Les désaccords d’interprétation, s’ils peuvent, de temps à autre, révéler une volonté d’interprétation à minima des atteintes provoquées par l’amiante, sont, le plus souvent, le résultat de différences d’appréciation des nuances de gris en telle ou telle position sur le cliché. La plaque pleurale affectant une plèvre, ne se révèlera que par une zone plus claire au niveau de l’ombre projetée de la plèvre, c’est à dire une zone plus dense et un peu plus absorbante pour les rayons X que les tissus avoisinants. D’où parfois des cas où le doute existe et implique de demander une seconde interprétation à un autre spécialiste, et d’où, également, la nécessité d’obtenir des clichés de très bonne qualité technique, par exemple au scanner, pour la recherche de fibrose, (plaques et épaississements pleuraux, asbestose), recours à de nombreuses coupes millimétriques en haute résolution.

Il est important de souligner que la surveillance médicale par de simples radios pulmonaires n’est pas acceptable, car c’est une technique insuffisamment sensible. L’examen de référence est le scanner, et même cette technique a une sensibilité insuffisante pour détecter des lésions pleurales peu importantes puisque des études ont montré que lors d’autopsies pratiquées sur des sujets ayant été fortement exposés, tous présentaient des anomalies pleurales.

De l’absence de fibrose en radiographie, peut-on déduire qu’un mésothéliome
ou un cancer du poumon ne sont
pas dus à l’amiante ?

Absolument pas. D’ailleurs le tableau 30 bis permet, chez une personne ayant 10 ans d’exposition, sans fibrose pleurale ou pulmonaire, une reconnaissance du cancer du poumon en maladie professionnelle. Pour le mésothéliome la situation est encore plus nette. Il peut survenir - et on le sait depuis 1960 - sans fibrose pleuro-pulmonaire et pour des expositions relativement faibles à l’amiante.

Donc, ne pas accepter les réflexions de médecin disant. « Oui, M. Untel a un mésothéliome, mais ce n’est pas dû à l’amiante ». Sous entendu, c’est un mésothéliome « spontané ». Mais il n’y a pas de mésothéliome « spontané » ; il y a seulement des mésothéliomes pour lesquels on n’a pas su ou pas pu identifier une exposition « anormale » à une poussière suspecte. Même chez les personnes dites « non exposées » (voir ci-après) il y a de l’amiante dans les poumons, donc dans les plèvres car l’amiante migre vers la périphérie du milieu pulmonaire.

Par ailleurs le régime des maladies professionnelles repose sur le principe d’imputabilité : si le sujet remplit les conditions d’expositions fixées par le tableau, l’atteinte doit automatiquement être attribuée à l’exercice professionnel. Le médecin n’a pas à « interpréter » la réglementation. En particulier, il n’est pas acceptable qu’une opinion contraire figure sur le compte rendu radiologique. 

Ceci étant, docteur, ne pouvez-vous quand même me dire si j’ai de l’amiante dans les poumons ?

Le patient, face à son médecin et à sa réponse le plus souvent évasive, insiste. D’évidence, la réponse doit clairement être positive. Oui, la quantité d’amiante résiduelle en milieu pulmonaire, par exemple 10 à 40 ans après une période plus ou moins longue d’exposition professionnelle, ne sera jamais nulle. Elle sera même importante.
C’est dans l’histoire des niveaux et des durées des expositions, dans la variété de l’amiante inhalé, (chrysotile ou amphibole) et dans les capacités individuelles d’épuration du milieu pulmonaire que réside la réponse quantitative. Tous facteurs que le médecin ne maîtrise pas… et le patient non plus qui sait qu’il a respiré de la poussière, mais le plus souvent sans connaître ni la proportion d’amiante dans ces poussières, ni sa variété.

Il y a bien sûr des cas où la connaissance de la nature des expositions est plus précise, comme celui des ouvriers qui travaillaient l’amiante bleu (crocidolite), aux cardes chez Ferodo il y a 30 ans, mais c’est l’exception. Ceci étant, il n’y a pas de méthode sûre permettant, du vivant du patient, de connaître la quantité d’amiante résiduelle en milieu pulmonaire. Il n’existe que les méthodes de décompte des « corps asbestosiques », (des fibres entourées d’un manchon de protéines) et des fibres « nues », dans les crachats ou dans les liquides de lavage broncho-alvéolaire, méthodes qui ne donnent pas de résultats fiables, sauf si ceux-ci sont nettement positifs. Qui plus est, le lavage bronchoalvéolaire, examen où les poumons doivent être temporairement remplis de sérum physiologique, n’est ni nécessaire, ni recommandé pour le patient.

Les données obtenues, à l’occasion des autopsies, permettent de dire, depuis près de 30 ans, que : 

- Chez des personnes non exposées à l’amiante, les teneurs sont de l’ordre de 200.000 à 1 million de fibres d’amiante par gramme de poumon sec, soit une « charge » globale du milieu pulmonaire de plusieurs millions de fibres. (…)
- Chez les personnes atteintes de mésothéliome, la « charge » en chrysotile (amiante commun blanc à grisâtre) est peu différente de celle des témoins non exposés, mais la « charge » en amphiboles (crocidolite, amosite) est en général supérieure à 1 million de fibres par gramme de poumon sec, et donc supérieure à celle des témoins.
- Chez les personnes atteintes d’asbestose, la « charge » peut atteindre des milliards de fibres par gramme de poumon sec. Elle est moindre quand il ne s’agit que de plaques pleurales.

Pourquoi des quantités
aussi élevées ?

Parce que les systèmes de défense du milieu pulmonaire ne permettent qu’une épuration partielle de ce milieu, et ceci est valable pour toutes les particules minérales insolubles ou peu solubles. Un examen en microscopie électronique des minéraux présents dans le prélèvement pulmonaire d’un géologue de 60 ans permet de reconstituer ce qu’a été sa carrière sur le terrain.

Et ceci est valable pour l’amiante, sauf que le chrysotile est un peu mieux épuré que les amphiboles, (crocidolite, amosite), car il se dissout lentement en milieu pulmonaire, et d’autant plus lentement que la quantité accumulée est plus importante.

La dissolution n’est pas le seul mode d’épuration, mais les quantités accumulées sont telles après des années d’exposition professionnelle que le stock reste considérable, tant en fibres d’amiante (surtout des fibres fines et courtes), qu’en fibres n’appartenant pas au groupe des amiantes.

Donc, à la question d’un travailleur ayant été exposé, « docteur, ai-je encore de l’amiante dans les poumons ? », la réponse doit toujours être oui… plus ou moins selon l’histoire de vos expositions !

Mais cet amiante stocké, est-il encore toxique, « actif » pour déclencher ou amplifier une fibrose, ou encore actif pour accélérer un processus de transformation de cellules normales en cellules cancéreuses ? C’est en fait la vraie question à laquelle il est difficile de répondre.

Il est indéniable – du moins à mes yeux – que les fibres peuvent être rendues passives tout au long de leur interaction avec le milieu pulmonaire, mais cela va dépendre de la quantité accumulée. Si des fibres retenues dans les poumons sont encore à même de générer des espèces agressives pour le milieu pulmonaire, la fibrose sera évolutive, c’est à dire tendra à s’aggraver. Si les fibres ont épuisé cette capacité d’activité toxique, le niveau de la fibrose tendra à rester stationnaire. Il en est probablement de même pour l’initiation d’un processus de cancérogenèse.

Ce n’est donc que l’évolution de la maladie qui renseigne sur la capacité de nuisance de l’amiante retenu en milieu pleural et pulmonaire !
D’où la nécessité d’un suivi médical adapté, à long terme, pour tous les travailleurs ayant été exposés.

Henri PÉZERAT


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°29 (avril 2009)