Jusqu’au bout de sa vie, Henri aura agi en faveur de la santé au travail, de la prévention et de la réparation des risques professionnels.
Quelques jours encore avant sa disparition, il envoyait des mails et des communiqués de presse pour alerter l’opinion sur les insuffisances du nouveau tableau de maladie professionnelle sur le plomb.

C’est cette image, je crois, que je retiendrai. Celle d’un scientifique engagé, d’un toxicologue qui avait mis ses connaissances au service de la santé des travailleurs et de la justice sociale. Celle d’un militant que la maladie n’avait pas réussi à empêcher de continuer son combat, tant était forte sa détermination.

L’annonce de son décès m’a peiné. Et surpris. Henri s’était tellement relevé de fois, avait tellement fait des pieds de nez à la mort au cours de ces dernières années que je n’imaginais pas qu’elle puisse avoir le dessus.
Mais par dessus tout, la disparition d’Henri me laisse un goût amer et beaucoup de regrets. Depuis plusieurs années, nous nous étions perdus de vue. Depuis plusieurs années, nous n’échangions plus et nos chemins s’étaient séparés au point que nous n’éprouvions même plus le besoin de confronter nos opinions divergentes. La vision que nous avions de l’Andeva, de sa stratégie, de ce que devait être une association de victimes, a construit au fil du temps un mur infranchissable pour notre amitié passée et notre estime réciproque.
C’est con. Il n’y a malheureusement pas d’autre terme pour qualifier notre incapacité mutuelle à décrocher notre téléphone, à prendre le temps d’un repas pour échanger simplement sur ce que nous avons réussi ou loupé, sur les choix faits et les objectifs poursuivis. Et aujourd’hui, je m’en veux de ne pas avoir eu ce courage.
Alors, maintenant, évitons de nous comporter en notaire, de faire le décompte de nos erreurs passées, de refaire l’histoire pour savoir qui a commencé. Cela n’a pas beaucoup d’intérêt et nous avons payé assez cher nos divisions.

La réussite de l’Andeva est incontestable – tant sur le plan numérique que politique si l’on tient compte de son poids, dans l’opinion comme vis à vis des autorités publiques – et Henri a bien évidemment contribué à ce succès. A sa façon, avec son caractère et, si l’on peut regretter qu’il ait parfois donné davantage une impression d’hostilité ces dernières années, le fond de son action restera celle d’un chercheur qui a consacré sa vie à la défense des plus faibles et à la santé publique au travail.

Pour ma part, donc, je préfère me « souvenir des belles choses » que nous avons faites ensemble. Henri a été l’un des animateurs de l’association pour l’étude des risques du travail (Alert) qui, plus tard, sera l’une des structures fondatrices de l’Andeva. Créée par l’ensemble des auteurs du livre « Les risques du travail », paru en 1985 aux éditions La Découverte, l’Alert va s’attaquer à de nombreux sujets de risques professionnels. Silicose, cancers professionnels, sous-traitance des risques, autant de thèmes sur lesquels Henri va imprimer sa marque et contribuer à donner de la visibilité à ces facteurs d’inégalités sociales de santé. Puis, en 1994, ce sera l’amiante. Je me souviens encore de ce samedi matin de novembre où, dans l’une des salles de l’hôpital Sainte Périne qui servait de quartier général à l’Alert, Henri nous avait fait une démonstration brillante du scandale de l’amiante, du nombre de morts estimés, du rôle du CPA noyauté par les industriels, de la complicité des pouvoirs publics… Tout y était. Henri nous a décrit par le menu ce que nous avons pu lire dans tous les rapports officiels qui sortiront plusieurs années après.

Et surtout, il a su nous donner l’enthousiasme de la bagarre, l’envie d’y croire et de nous lancer dans ce qui restera pour moi et pour beaucoup de militants présents ce jour-là, une formidable aventure humaine. De celles qui marquent une vie. Celle-ci a marqué la sienne et beaucoup la nôtre.

François DESRIAUX


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°29 (avril 2009)