Après le démontage sans précaution de 5 fours chargés d’amiante, 72 salariés ont engagé une action en correctionnelle. L’Andeva et la CGT sont partie civile.


Dix mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amendes étaient requis le mardi 3 mars à la Cour d’appel de Paris, contre Jean François Lesteven, directeur technique et responsable sécurité (EHS) chez Novelis, filiale du groupe Péchiney.
Après la condamnation d’un directeur d’Alstom Power Boilers en 2008 cette audience était très attendue : l’arrêt que rendrait la cour allait-il conforter l’évolution favorable de la jurisprudence ?

5 fours démontés sans aucune précaution

A l’origine de la plainte, le démontage de cinq fours de type Heurtey au sein de l’usine de Rugles dans l’Eure en novembre 2005. Une opération effectuée sous la responsabilité de la direction technique du site au mépris des obligations réglementaires, occasionnant l’exposition de 347 salariés aux poussières d’amiante pendant onze jours.

« Le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de travail (CHSCT) n’a nullement été avisé de ces travaux. C’est l’empoussièrement occasionné et la nature des matériaux qui nous ont inquiétés et nous ont fait réagir », précise Bruno Lamy, secrétaire de cette instance, cité à comparaître en tant que témoin.

Les cinq fours datent de 1967, période d’usage massif de l’amiante. Ils occupent une place centrale au sein du site. Or le chantier ne fait pas l’objet de confinement ni de précautions particulières.
 
« J’ai interpellé Monsieur Lesteven sur les risques liés à la présence d’amiante. Il m’a assuré que les fours n’en contenaient pas. Je n’étais pas convaincu.
J’insistai pour faire des prélèvements et une analyse. On m’a répondu que je devrais la justifier devant la direction et qu’elle serait facturée à mes frais
… ».

Bruno Lamy se décide alors à effectuer un prélèvement sauvage qu’il envoie pour analyse chez Diagnotech, société agréée. Les résultats confirment la présence de fibres d’amosite, une des variétés d’amiante les plus dangereuses. Il demande alors l’arrêt immédiat du chantier, invoquant le droit de retrait des salariés et saisit l’inspection du travail.
Il faudra pourtant intervenir une seconde fois pour stopper le chantier, les salariés de la société Matec chargés du démontage n’ayant pas été tenus informés des événements par la direction !

Conformément à L’article 223-1 du Code pénal

72 salariés portent plainte contre la société Novelis pour violation du décret du 7 février 1996. Ils déposent aussi une plainte contre Jean Francois Lesteven pour « mise en danger d’autrui » suivant l’article 223-1 du code pénal. L’Andeva et la CGT se portent partie civile.
A l’audience, Maître Francois Lafforgue réclame une peine exemplaire. «  La mise en danger d’autrui s’attache au risque et non à la blessure. En pénalisant le comportement indépendamment de la conséquence, le législateur a voulu mettre sur pied un droit pour l’avenir, et non une sanction du passé, répondant ainsi à une exigence de prévention. On n’attend pas que la maladie soit déclarée pour intervenir ». Maître Nadine Mélin fait valoir un préjudice d’anxiété : « Avec cette exposition, les salariés vivent maintenant avec une épée de Damoclés au dessus de leur tête ». Elle rappelle que les propriétés cancérogènes de l’amiante et des amphiboles en particulier, ne sont pas liées à un niveau d’exposition élevé.

Se basant sur la jurisprudence de la condamnation d’Alstom Power Boilers en mars 2008, les avocats des salariés réclament 10 000 euros de dommages et intérêts par plaignant, ainsi que la condamnation de Jean Francois Lesteven à 5 000 euros d’amende et à une peine de dix mois d’emprisonnement.

« Je pensais qu’il n’y avait pas d’amiante dans les fours... »

Pour se défendre, Jean Francois Lesteven, évoque plusieurs sources documentaires qui l’ont conduit à mal apprécier la situation.
« La fiche du constructeur Stain , les matériaux non répertoriés sur la fiche ED 1475 de l’INRS, l’audit effectué en 1999 par la société Affitest, rien n’évoquait la présence d’amiante. Tous ces éléments ont emporté ma conviction qu’il n’y avait pas d’amiante dans les fours ». Il lui a été fait remarquer que le schéma-plan des fours faisait référence à du fibro-silex, et que ce document ne portait que sur le bâti du site industriel. « Étant donné ces éléments, et en tant qu’ingénieur arts et métiers et directeur EHS, n’auriez vous pas du être enclin à plus de curiosité ? » questionnera la juge. Les avocats de la défense représentant Novellis et Jean François Lesteven se sont pour leur part attachés à minimiser l’importance des expositions au mépris des évidences scientifiques « L’amiante est à la mode, et s’oppose à une analyse sérieuse de la situation. Les expositions sont en réalité quasi nulles alors que même une exposition massive n’est pas forcément à l’origine de lésions ».

Pourtant le procès verbal de l’inspection du travail présente une cartographie précise des expositions. Trois cents douze salariés circulant à proximité du chantier ont subi une exposition passive. Vingt trois ont subi une exposition directe en intervenant dans la fosse. Douze ont subi une inhalation massive en cassant les fours à la masse. Une hiérarchie des expositions que l’avocat de Novelis ne manquera pas de relever à son avantage « Il n’y a pas de distinguo des demandes d’indemnisations entre les salariés. La multitude des expositions - si exposition il y’a - n’abolit pas la nécessité de l’individualisation de la demande. Le préjudice d’anxiété nous est présenté comme un forfait sans aucun justificatif. D’ailleurs s’il y a anxiété, c’est principalement le résultat d’un drame entretenu ». Pour conclure, l’avocat de Lesteven plaidera la relaxe en présentant son client comme une victime d’un conflit qui oppose la CGT à la direction.

L’espoir d’une décision exemplaire

Le délibéré sera rendu le 12 mai. Une affaire à suivre avec l’espoir d’une décision de justice exemplaire pour l’avenir. Bruno Lamy s’est voulu serein à l’issue de l’audience. Toutefois, il n’écarte pas l’idée de porter l’affaire en appel. « Il est essentiel, conclut-il, que la condamnation s’inspire du principe du pollueur-payeur. Jusqu’à maintenant les peines sont peu dissuasives face au prix du désamiantage. Une peine insuffisante inciterait certaines entreprises à une stratégie de coût désastreuse pour la santé ».

Frédéric Houel</p


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°29 (avril 2009)