« J’ai travaillé de 1962 à 2001, sur le site de Carling à Saint-Avold, explique Marcel Nicolaus. Je l’ai vu se transformer : L’activité initiale de la plate-forme était de valoriser les sous-produits du charbon. A partir de 68, la pétrochimie a remplacé la carbochimie. Un vapocraqueur a été installé pour produire de l’éthylène, du polyéthylène, du polystyrène et la filière acrylique. A une époque, nous avons aussi produit des engrais… »

Professionnellement, Marcel occupait un poste stratégique : en tant que coordinateur de l’environnement et responsable du contrôle de la pollution des eaux, il intervenait sur toutes les unités.

145 lieux d’exposition recensés

En 39 ans d’activité, il a acquis un formidable capital de connaissance des installations, des salariés et des situations de travail. Difficile de prendre sa mémoire en défaut : Il peut décrire chaque poste de travail dans le détail… « Sur la plate-forme de Carling, explique-t-il, j’ai recensé 145 endroits différents où l’on manipulait l’amiante, sous toutes ses formes et pour toutes sortes d’utilisations : dans les unités de production, mais aussi, dans les ateliers d’entretien, dans les laboratoires et aux contrôles régulation. »

Marcel est parti à 54 ans en « pré-retraite amiante ». Il évoque les dégâts causés par ces expositions multiples et massives : le nombre de maladies dues à l’amiante est exceptionnellement élevé sur la plate-forme de Saint-Avold : 360 victimes de l’amiante recensées sur 1000 retraités. Et la liste continue à s’allonger…

Dans certains secteurs, le taux de mortalité est effrayant. C’est le cas du blockhaus, gainé de poudre d’amiante dans lequel on faisait les réactions dangereuses (voir page suivante).

« On en avait plein les cheveux, plein les narines ».

Quand les pompiers sauveteurs surveillaient les
travaux, ils ne portaient aucun équipement de protection. Aujourd’hui, deux sur trois sont morts de l’amiante. « Après une journée de travail, on en avait pleins les bleus, plein les cheveux, plein les narines, témoigne Marcel. Avant d’aller manger, on donnait un coup de « soufflette » à l’air comprimé sur les vêtements de travail pour les nettoyer. A chaque fois, cela soulevait un nuage de poussières d’amiante. A cette époque, nous ne savions pas que l’amiante était dangereux. On faisait même des « batailles de boules de neige » avec la poudre d’amiante… »

L’amiante n’est pas le seul produit dangereux sur site. Plusieurs leucémies ont été reconnues. Marcel a même réussi à faire reconnaître un cancer du rein en maladie professionnelle, en démontrant la synergie entre l’exposition à l’amiante et l’exposition au trichloréthylène.
La plate-forme de Carling (dont les deux principaux propriétaires sont aujourd’hui Arkema et Total) est un grand site chimique, où interviennent de multiples entreprises extérieures pendant les arrêts de vapocraqueur. Beaucoup de salariés de ces entreprises sous-traitantes sont exposés à l’amiante et à bien d’autres toxiques.
En vingt ans, sur un site de 2000 personnes 149 personnes sont mortes avant l’âge de la retraite. A Saint-Avold, trop de gens perdent leur vie à la gagner.

Marcel n’est pas un débutant. Il a travaillé avec le syndicat CFDT et le docteur Lucien Privet depuis des années. Il a déjà participé à des formations de l’Andeva,
Au fil des années il a acquis des connaissances médicales et juridiques qui lui permettent non seulement de gérer des dossiers de maladies professionnelles, mais aussi d’assurer personnellement la défense des dossiers devant le Tribunal des Affaires de Sécurité sociale (Tass) ou le Tribunal du contentieux de l’incapacité (Tci).


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°29 (avril 2009)