Pendant plus d’un an, de décembre 2004 à janvier 2006, les veuves et les victimes de Dunkerque ont marché en silence, toutes les trois semaine, autour du Palais de Justice, à l’appel de l’Ardeva Nord-Pas-de-Calais. Cette formidable mobilisation soutenue par l’Andeva et toutes les associations de son réseau, a su gagner le respect et la sympathie de l’opinion publique. Elle a permis d’obtenir des avancées importantes dans l’instruction du procès pénal de l’amiante : Les dossiers de toutes les régions ont été regroupés dans les mains des magistrats spécialisés du pôle de santé publique ; une cellule d’officiers de police judiciaire a été créée et mise à leur disposition.

Une partie importante de nos demandes avait été obtenue (à l’exception de la révision de la loi Fauchon). Nous avions alors décidé de marquer une « pause » des marches, conscients qu’il fallait du temps pour que les mesures annoncées se mettent en place.
Assez vite, nous avons été alertés par les juges d’instruction, qui ont dit publiquement leur inquiétude face à une diminution importante de l’effectif à l’OCLAESP (Office Central de Lutte contre les Atteintes à l’Environnement et a la Santé Publique) chargé des enquêtes. Les responsables de cet office nous ont confirmé que leur effectif s’était réduit, en précisant qu’ils ne sont pas à plein temps sur le dossier de l’amiante (d’autres missions aussi lourdes que le dopage sur le Tour de France leur étant périodiquement confiées…)

Nous sommes intervenus à plusieurs reprises auprès du ministère de la Justice. Des engagements ont été pris. Ils n’ont pas été tenus... Des moyens supplémentaires ont été annoncés. Ils ne sont pas arrivés. Nous avons été écoutés, mais pas entendus. Nos interlocuteurs ont même dit qu’ils ne comprenaient pas l’acharnement des victimes à vouloir un procès pénal, alors qu’elles avaient déjà été indemnisées !
Notre inquiétude a encore grandi, lorsque le Président de la République a annoncé son intention de supprimer le juge d’instruction, et de confier ses missions au parquet, qui dépend directement du pouvoir politique. Une telle mesure serait de toute évidence un moyen d’enterrer les dossiers sensibles, à commencer par celui de l’amiante.
Les victimes de l’amiante savent bien que, pendant plus de 10 ans, aucun procureur n’a levé le petit doigt pour engager une poursuite pénale contre les responsables de la catastrophe sanitaire. Qui peut croire que les « juges de l’instruction » du parquet agiront autrement demain ?

La situation est grave. Si nous ne réagissons pas immédiatement le procès pénal des responsables risque de ne jamais avoir lieu.
C’est tout de suite, maintenant, qu’il faut nous mobiliser...
Ce procès pénal, les victimes de l’amiante l’attendent depuis treize ans. On nous dit aujourd’hui qu’il pourrait ne pas avoir lieu avant 2014, près de 20 ans après le dépôt des premières plaintes. Nous n’avons pas la même notion du temps. Nous savons, nous, que nos maladies vont plus vite que la Justice. A ce rythme, combien d’entre nous seront encore en vie pour assister à l’audience, si le procès à lieu… ?

Ce procès doit se tenir. C’est vital. Parce qu’il est impensable, dans un État de droit, que les responsables d’une catastrophe qui fera 100.000 morts n’aient pas de comptes à rendre à la Justice, et parce que nous voulons que toutes les leçons de ce drame soient tirées pour en éviter d’autres.
Aujourd’hui s’ouvre à Turin le procès pénal de deux dirigeants
d’Eternit suite à la plainte déposée par 2900 victimes professionnelles et environnementales. Les juges de Turin ont eu les moyens nécessaires pour mener à bien l’instruction. Pourquoi ce qui est possible en Italie ne le serait pas en France ? C’est une question de volonté politique.

Nous lançons un appel à la mobilisation générale. Il faut agir, avec les victimes et leurs familles, mais aussi avec tous ceux, associations, syndicats, partis et élus politiques qui sont attachés à une certaine idée de la Justice : ensemble, nous devons exiger le maintien d’un juge d’instruction indépendant et des moyens supplémentaires pour les magistrats du pôle de Santé publique afin qu’ils puissent mener à bien une instruction de qualité dans des délais raisonnables pour le procès pénal de l’amiante.
Lors de l’assemblée générale du 7 mars dernier à Dunkerque, les 900 personnes présentes se sont prononcées à l’unanimité pour relancer la mobilisation. Les veuves et les victimes reprennent les marches autour du Palais de Justice de Dunkerque. Toutes les associations du réseau Andeva, réunies le 23 mars ont mesuré la gravité de la situation et décidé de réagir.

Ce procès nous le voulons, nous l’exigeons, c’est de la capacité de notre mobilisation que dépend le cours des choses.

Alain GUERIF

 

Pierre PLUTA


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°29 (avril 2009)