Pourquoi manifestez-vous au côté de l’Andeva ?

Le gouvernement prétend protéger le droit des victimes. Mais, sa réforme de la justice ne va pas du tout dans ce sens. Nous avons donc rencontré l’Andeva au mois de juin et décidé de mener des actions communes. Nous souhaitons aussi contacter d’autres associations de victimes.

Quels seraient les dangers de la suppression du juge d’instruction ?

Le point essentiel, notamment dans les affaires sensibles, c’est le transfert des compétences d’un juge indépendant vers le parquet qui est, lui, sous la tutelle du ministère de la justice.
Les risques de pression, d’enterrement des dossiers sont très importants. Le ministère de la justice a le pouvoir de nomination, de sanction et de promotion des procureurs de la République. Il y a donc des possibilités de pressions directes ! Dans les affaires gênantes, les procureurs risquent de ne pas poursuivre l’ins-truction. Le juge de l’enquête, n’interviendra plus que de manière ponctuelle et ne pourra pas orienter ni poursuivre les enquêtes.

Après Outreau avait-il été question de supprimer les juges d’instruction ?

Après des mois de travail et des centaines d’auditions, la commission d’enquête parlementaire a conclu qu’il ne fallait pas les supprimer ! En revanche, pour éviter les erreurs, elle a encouragé la collégialité, votée par le législateur mais toujours pas mise en oeuvre par le gouvernement. Aujourd’hui les juges d’instruction travaillent toujours tous seuls dans leur cabinet comme à l’époque d’Outreau et le gouvernement à décidé carrément de les supprimer.

Quels sont les risques pour les
victimes ?

On leur retire l’accès aux juges. Elles ne pourront plus aller directement devant le tribunal correctionnel, ni dans les affaires de santé publique, où les enquêtes sont souvent très longues, ni lorsqu’il s’agit d’autres délits. Dans les textes, les victimes auront des droits, mais dans la réalité elles devront payer un avocat ou en prendre un commis d’office.
Si nous nous rapprochons des associations de victimes ce n’est pas par réflexe corporatiste, c’est parce qu’il y a des enjeux pour la défense de la démocratie et pour les justiciables, dont les droits risquent d’être bafoués.

Tous les juges d’instruction vous soutiennent-ils dans votre démarche ?

Il y a trois syndicats de magistrats en France. L’USM, qui représente 62% du corps aux élections professionnelles, est le principal.
L’association française des magistrats instructeurs a, elle aussi, pris position. Cela dit, certains collègues considèrent que la réforme est presque faite et qu’il est inutile de lutter. D’autres s’imaginent que le Parquet pourrait devenir indépendant. Le conseil de l’Europe a voté une résolution demandant à la France d’abandonner le projet de réforme en cours ou de donner l’indépendance au Parquet. Or, le gouvernement n’est pas dans cette perspective. Si cela avait dû se faire, cela aurait eu lieu lors de la réforme constitutionnelle de juillet 2008.

La plainte au pénal des victimes de l’amiante aboutira un jour ?

J’étais substitut au moment des premières « plaintes amiante » dans le Nord-Pas-de-Calais. Je suis donc sensibilisée. Mais, notre démarche est celle de magistrats. Nous ne manifestons pas pour qu’il y ait un procès de l’amiante, mais pour que les juges d’instruction aient les moyens de bien travailler en dehors de toutes pressions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les officiers de police judiciaire estiment eux-mêmes que l’enquête ne pourra être close avant 2014...

 
Pensez vous que le gouvernement puisse reculer ?

Un sondage montre que 75% de Français veulent le maintien du juge d’instruction. Manifester ensemble, c’est montrer au pouvoir que les victimes et les juges ne sont pas d’accord avec cette réforme. Le gouvernement va peut être hésiter à mettre en place une réforme qui va contre l’opinon publique. Ce qui est certain, c’est qu’il y a une volonté manifeste de reprise en main de la justice. Il y a des déclarations à l’emporte-pièce mettant en cause les juges, notamment dans des affaires de récidive. Petit à petit on sape l’autorité de la justice. Mais le problème c’est que la démocratie repose en partie sur l’autorité judicaire, il s’agit donc d’un un réel danger.

Propos recueillis
par Léa Veinberg


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°31 (décembre 2009)