Juges d’instruction, Victimes de l’amiante : « Nos destins sont liés »

Je suis le président de l’Association Française des Magistrats Instructeurs et je représente donc ceux que l’on veut supprimer, 650 juges d’instruction en France, tandis que vous représentez l’affaire type que l’on voudrait supprimer. C’est dire que nos destins sont liés.
650 juges d’instruction, ce n’est pas beaucoup et, sans votre aide, sans le soutien des personnes comme vous, c’est à dire des victimes qui cherchent à obtenir justice et le font savoir, l’institution du juge d’instruction disparaîtra effectivement.

Vous savez que les juges d’instruction font ce qu’ils peuvent avec les faibles moyens qu’on leur donne et que de ce fait les instructions, et notamment l’instruction des dossiers de l’amiante, sont beaucoup trop longues. Mais vous savez que ce n’est pas la motivation des juges qui est en cause : c’est uniquement la faiblesse de leurs moyens. La réponse à ce problème aurait dû donc être, en particulier pour le dossier de l’amiante, une augmentation des moyens matériels et en OPJ, mis à la disposition des juges d’instruction. Or, la réponse est inverse. Au lieu de donner plus de moyens aux juges d’instruction, on veut les supprimer. Vous qui avez été confrontés aux classements sans suite de divers procureurs de la république dans les affaires concernant l’amiante, vous avez compris que la supression du juge d’instruction serait un retour à la case départ. C’est tout simplement impensable.

Pour ma part, je suis juge anti-terroriste et je n’ai jamais vu un seul terroriste tuer autant de personnes que des logiques économiques sordides ont pu le faire dans l’affaire de l’amiante. L’attentat du World Trade Center, c’est à peu près 3000 morts. L’amiante, c’est 3000 morts par an. Vous êtes victimes d’un World Trade Center chaque année, et cela ne suffit apparemment pas pour que l’on mette tout en oeuvre pour vous rendre justice. Que faut-il donc pour que l’on s’intéresse à vous ?

Mon discours ne s’adresse pas qu’aux victimes de l’amiante mais à toutes les victimes passées ou potentielles dans les cas similaires. En effet, si la justice n’est pas rendue dans une affaire aussi exemplaire que l’amiante, cette impunité sera le signe que l’on peut continuer, pour des considérations économiques, à mettre sciemment en danger de mort la vie de nos concitoyens. Il s’agit de droit pénal et, en droit pénal, l’impunité est le facteur le plus évident de récidive. Pourquoi voulez-vous que des multinationales, des entrepreneurs, prennent toutes les mesures nécessaires à l’avenir pour empêcher des hécatombes, de véritables carnages comme celui causé par l’amiante, si dans ce dossier précis on leur assure l’impunité ? Contre l’impunité nous savons bien qu’il est indispensable qu’un juge indépendant dirige les enquêtes et non pas un procureur de la république qui dépend hiérarchiquement du ministère de la justice et qui peut être déplacé comme un préfet ou un général s’il ne convient pas.

Il me reste à vous remercier chaleureusement du soutien que vous témoignez aux juges d’instruction, soutien qui démontre que le débat dépasse très largement les soit-disant réflexes corporatistes. En tant que citoyen, je souhaite de tout coeur que les victimes de l’amiante aient droit le plus rapidement possible au procès qu’elles attendent depuis tant d’années.

(discours prononcé lors
de la manifestation du
10 octobre 2009. à Paris
)


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°31 (décembre 2009)