La fabrication de l’amiante-ciment regroupait divers métiers . Les plus exposés étaient les débardeurs, les ouvriers qui entretenaient les machines et les démouleurs.
L’amiante arrivait en péniche, conditionnée dans de gros sacs de jute de cinquante kilos. Les débardeurs assuraient le déchargement . « Je suis rentré chez Eternit en 1933, j’avais 16 ans, témoignait il y a une douzaine d’années un ancien de l’usine de Tressac. On déchargeait les sacs aux crochets. A chaque fois qu’on les attrapait ça faisait des gros trous. On prenait les nuages d’amiante en pleine figure. »

Les sacs étaient ouverts au couteau et agités pour être complètement vidés dans les broyeurs.
Les plaques ondulées et tuyaux obtenus après le mélange de l’amiante, du ciment et de l’eau, devaient être tronçonnées, puis meulées, parfois redécoupées à la main et poncées au papier de verre par les démouleurs, le tout sans protections.
Le pire peut-être, était réservé aux ouvriers qui descendaient dans la chambre d’amiante, récupérer le minerai passé au broyeur avant de l’envoyer au hollander.

« Quand les copains étaient au maximum trois quart d’heure dans la chambre à amiante, ils sortaient, car ils ne savaient plus respirer. Ils sortaient, ils respiraient un peu et retournaient dans la chambre à amiante ». C’est en ces termes que René Delattre, délégué du personnel de 1965 à 1982 à l’usine de Prouvy-Thiant, avait décrit ces conditions de travail infernales. Il devait, lui aussi, mourir d’un cancer de l’amiante.
La poussière d’amiante était partout. Le manque d’aération des locaux de travail et l’inefficacité des aspirateurs exposaient l’ensemble du personnel. Eternit allouait d’ailleurs à ses ouvriers une prime d’empoussièrement.

« Nous nous confectionnions des tabliers avec les sacs d’amiante pour éviter d’avoir à trop souvent laver nos bleus. Ceux-ci étaient de simples bleus de chauffe qui accrochaient les poussières. Nous devions balayer les locaux deux fois par jour, l’amiante était partout » rapporte Jean-François Borde, ouvrier à l’usine de Vitry en Charollais de 1971 à 2005, délégué du personnel et secrétaire du comité d’établissement.

L’instauration d’une réglementation spécifique en 1977 aurait dû améliorer la situation. Elle s’est heurtée à un chantage à l’emploi : « Lorsque nous parlions d’amiante, la direction faisait courir le bruit que l’usine allait fermer. Les ouvriers atteints d’une maladie préféraient la passer sous silence pour pouvoir continuer à travailler. Les résultats des mesures d’empoussièrement étaient très en-dessous de la réalité. La médecine du travail ne nous a jamais soutenus. Certains responsables de la Sécurité ont même été condamnés par les tribunaux par la suite pour falsification de fiche de reconstitution de poste. Bref rien n’a changé chez Eternit. » ajoute Jean François Borde.

« J’ai travaillé chez Eternit de 1973 à 2006, rapporte Jean-Michel Despres, démouleur à Thiant. Jusqu’à l’interdiction, personne ne nous disait que l’amiante était dangereuse. Le médecin du travail nous disait même que l’on pouvait en manger. »

Frédéric HOUEL


Article paru dans le dossier de l’Andeva n°31 (décembre 2009)