Le 24 novembre, Joseph Cuvelier, ancien dirigeant du groupe Eternit, de 1972 à 1994 était convoqué par la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy pour se voir notifier sa mise en examen pour « blessures et homicides involontaires ».

Pour la première fois, c’est un industriel de l’amiante et pas simplement un employeur qui devra rendre des comptes à la justice.
Depuis 1922, la famille Cuvelier a bâti sa réussite sur le développement du marché national et international de l’amiante-ciment, au détriment de la santé et de la vie de populations entières.

Eternit, membre influent du Syndicat de l’amiante ciment, a été l’un des artisans de la stratégie de lobbying mise en place par les industriels et visant à minimiser les dangers du matériau cancérogène et à retarder l’instauration de mesures réglementaires de protection de la santé des travailleurs et de la population. Les premiers textes réglementaires sur l’amiante n’interviendront qu’en 1977 et 1978 et seront insuffisants pour protéger efficacement les salariés.

Pourtant, les industriels comme Eternit se tenaient parfaitement informés de l’évolution des connaissances scientifiques et médicales dont ils suivaient de près les progrès pour pouvoir mieux les contrer.
En outre, dans les usines du groupe (Prouvy, Thiant, Marsac sur Tarn, Paray-le-Monial, Saint-Rambert d’Albon, Saint Grégoire, Caronte, Triel), non seulement les textes réglementaires n’étaient pas ou mal appliqués
– on se souvient du terrible reportage de l’émission Envoyé
spécial, diffusé en 1995 où, dans l’usine de Thiant, les sacs d’amiante étaient ouverts au couteau, sans aucune protection – mais Eternit France refusera d’utiliser des produits de substitution à l’amiante jusqu’à l’interdiction du matériau en janvier 1997, alors que ceux-ci étaient utilisés depuis plus d’une décennie en Allemagne.

Le leader français de l’amiante-ciment a été condamné des milliers fois au titre de la faute inexcusable de l’employeur devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale, et il est responsable de dizaines de milliers de morts. Soit directement par le niveau de pollution qui régnait dans ses usines, soit indirectement à travers l’utilisation des tubes ou des plaques d’amiante-ciment découpés sur les chantiers du BTP.

La mise en examen de Joseph Cuvelier intervient symboliquement à quelques jours de l’ouverture du premier procès pénal de l’amiante qui se tiendra en Italie, à Turin, et où les dirigeants d’Eternit Belgique devront rendre des comptes à la justice. L’Andeva souhaite que la France suive l’exemple de l’Italie et se dirige vers un procès pénal de l’affaire de l’amiante. Mais il faudrait pour cela que le ministère de la justice accepte de donner aux juges d’instruction en charge du dossier les moyens de mener à bien leur enquête, ce qu’il n’a pas fait jusqu’ici.
Cette mise en examen par la juge Marie-Odile Bertella Geffroy rappelle aussi l’importance capitale des juges d’instruction indépendants dans notre système judiciaire, au moment où le président de la République veut les supprimer et confier les enquêtes à des procureurs dépendants du pouvoir politique.

Malgré les dizaines de milliers de victimes de l’amiante et les fautes pénales évidentes, jamais un procureur n’a ouvert une information judiciaire, et s’il y a aujourd’hui une enquête et des mises en examen dans l’affaire de l’amiante, c’est uniquement parce que les victimes ont utilisé la possibilité de saisir elles-mêmes un juge d’instruction en se constituant partie civile. Une possibilité qui demain n’existera plus si la réforme voulue par le président de la République est adoptée à la plus grande satisfaction des délinquants en col blanc.

Le Président
Alain GUERIF


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°31 (décembre 2009)