10 décembre 2009

Ouverture du procès.

Janvier - février 2010

Tirs de barrage des avocats d’Eternit : Ils soutiennent que la procédure est contraire à la constitution et veulent mettre hors de cause les sociétés du groupe poursuivies pour « désastre environnemental intentionnel ».

« Comment croire que les deux accusés aient agi par eux-mêmes, sans le soutien et l’accord des groupes dont ils étaient issus ? »
 dit Sergio Bonetto, l’avocat des victimes.

Les avocats d’Eternit prétendent que le nombre élevé de plaignants rend toute vérification impossible et exerce sur le juge Casalbore une « pression psychologique » nuisible à la bonne tenue du procès.

« Si les plaignants sont si nombreux, c’est que la tragédie est immense, expliquera Davide Petrini, l’une des victimes.

Mars 2010

Le juge tranche : l’action des plaignants est légitime et constitutionnelle.
Il limite la liste aux associations et institutions qui ont eu un rôle actif dans les régions frappées par la catastrophe et dans la lutte anti-amiante.
Le juge admet l’INAIL (équivalent de la branche AT-MP) et l’INVS (équivalent de la Sécurité sociale), qui demandent d’importantes compensations financières.

Il légitime l’action des citoyens de Casale Monferrato et de Cavagnolo au titre du préjudice moral et psychologique ainsi que celle des syndicats CGIL, CISL, UIL et ALCA.

Il maintient dans la procédure les sociétés belges et suisses du groupe.
« C’est une première victoire ! », déclare Bruno Pesce, responsable de l’association des victimes.

Les avocats des industriels tentent alors une ultime manœuvre en demandant que le procès soit plaidé à Gênes (où se trouve le quartier général d’Eternit) et non à Turin. Le juge refuse.

Avril 2010

Après sept audiences et quatre mois de procédure, le débat commence enfin.

Elena Fizzotti, expert indépendant, présente les plans du site de Casale. L’amiante arrivait par camions et par trains. On comprend pourquoi l’épidémie a gagné toute la ville.

Nicola Pondrano, ancien d’Eternit, militant de la CGIL et cofondateur de l’association des victimes, évoque la situation à Casale dans les années 70 : Les salariés n’avaient pas conscience du danger. L’employeur ne leur disait rien. La poussière était partout, mais personne ne se doutait qu’elle pouvait causer des cancers. Il n’y avait pas de service de nettoyage : Les ouvriers ramenaient leurs bleus à la maison. Nicola raconte avec émotion comment il laissait sa fille de trois ans lui secouer les cheveux pour en faire tomber la poussière, quand il rentrait du travail.

Il salue l’action d’un prêtre ouvrier, le père Bernardino Zanella, à l’origine de la première enquête épidémiologique en 1976.

« A partir de 1979, nous avons fait les premières grèves. La poussière était le problème principal. “Je tousse tout le temps, je ne peux plus respirer”, nous disaient les ouvriers ».

Répondant au procureur Gariniello, il confirme les liens du directeur du site avec le quartier général d’Eternit en Suisse.

Bruno Pesce, second grand témoin, brosse le tableau de la tragédie sociale causée par Eternit. Il décrit ses efforts de syndicaliste pour stopper cette production et obtenir la décontamination du site et l’action de l’association.

Dans les années 80 la direction engagea un consultant pour espionner l’association et le syndicat. Elle était au courant de tout. Elle savait que des citoyens de Casale mourraient de mésothéliomes, mais continuait à minimiser les risques. En 1979, un cadre d’Eternit affirma au Rotary Club de Casale que l’amiante bleu n’était pas cancérigène !

Ezio Buffa, atteint d’une asbestose, a 75% d’incapacité. Sa voix ressemble à un sifflement. Entré chez Eternit à 19 ans il en sort, malade, en 1978. Le procureur lui demande s’il était au courant des risques. « Bien sur que non ! Je n’avais jamais entendu dire que l’amiante causait le mésothéliome. Sinon, je leur aurais dit au revoir et je serais allé travailler en campagne ! ».

Mai 2010

Giorgio Demezzi, maire de Casale rappelle que dans sa ville de 35000 habitants 50 personnes par an meurent d’un mésothéliome.

Après la fermeture « des tas de sacs d’amiante et des tonnes de matériel contaminé étaient à l’air libre. Une zone à la fois dangereuse et facile d’accès. » La municipalité a dû acquérir le site, pour le débarrasser de ses déchets. Une décontamination d’une telle ampleur était une première mondiale. Elle coûta le double du budget prévu, dix millions d’euros.
Ni Schmidheiny ni de Cartier n’y participèrent.

Franco Sampo, maire de Cavagnolo, a vu mourir son père en 1998 avec les poumons remplis d’amiante. Sa mère, femme au foyer, est morte d’un mésothéliome. Son seul crime fut de laver les bleus de son mari.

Il évoque la poussière omniprésente dans ce village de 2500 habitants. Il dit sa difficulté à gérer la peur de la maladie qui hante ses administrés. Pendant 70 ans, Eternit a distribué ses déchets d’amiante aux habitants pour leur usage domestique. Ils en ont fait des enclos, des toitures, des abris de jardins...

François Iselin, de l’association suisse Caova, dévoile la stratégie préméditée par Eternit pour cacher et minimiser les risques : « Il était de notoriété publique depuis 1962 que l’amiante causait le cancer. Son abandon était donc préconisé, sauf pour Eternit qui a continué à l’utiliser deux fois plus qu’auparavant, jusqu’en 1990. » Une lettre prouve les liens entre Eternit Schweiz et Eternit Italian SA.

Pour Sergio Bonetto, c’est un « fait essentiel pour établir la vérité ».
Juin 2010

Mauro Patrucco, dit comment il a été licencié par représailles pour avoir fait arrêter le travail à des ouvriers qui suffoquaient.

Romana Blasotti Pavesi, présidente de l’association, a vu son mari, sa sœur, son cousin et sa fille mourir de l’amiante : « je n’ai ni rancœur ni désir de vengeance. Je voudrais simplement que les prévenus aient l’occasion d’accompagner un seul malade de mésothéliome du début à la fin ».

Les audiences continuent. Le rendu du verdict est annoncé pour mai 2011.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°33 (août 2010)