Au nom de son père et en mémoire de toutes les victimes de l’amiante, José Bachir s’est battu pendant sept ans contre Aluminium Pechiney, pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur : d’abord devant le Tass puis la cour d’appel de Pau, puis la cour de cassation et enfin la cour d’appel de Toulouse.

Un long et douloureux combat qu’il a fini par gagner. Léa Veinberg a recueilli son témoignage. Il tire un bilan de ces sept années de bataille judiciaire.

« J’ai toujours pensé que la Vérité finirait par triompher »

« Mon père, Jean-François Bachir, est mort à 73 ans d’un cancer broncho-pulmonaire dû à l’amiante.

« Dans chaque cuve, 200 kilos d’amiante »

Durant 17 ans, il a travaillé comme ouvrier chez Aluminium Péchiney dans des conditions très difficiles. Il devait nettoyer au marteau-piqueur 146 cuves d’électrolyse qui contenaient 200 kilos d’amiante chacune.

Jamais il n’a été informé de la dangerosité de son travail. Ses collègues et lui ne savaient d’ailleurs pas qu’ils manipulaient des plaques d’amiante (Ils parlaient de « laine de verre »). Les masques qui leur étaient donnés étaient inefficaces. Dans les locaux de travail, la ventilation était défaillante.

En 1987 mon père a pris sa pré-retraite. L’usine a fermé en 1991.

« C’était son travail qui l’avait rendu malade »

En 2002 mon père est tombé malade. Il était essoufflé. On lui a diagnostiqué un cancer du poumon. Un long combat contre la maladie a commencé. Il a subi une ablation du poumon gauche, puis des chimios et des radiothérapies.

Je l’ai accompagné à chaque examen. Il a beaucoup maigri, mais il a réussi à se rétablir.

Sa maladie était due à l’amiante. Je lui ai expliqué que c’était son travail qui l’avait rendu malade. Comme moi, il voulait que Justice soit rendue, mais à ce moment nous avons donné la priorité au combat contre la maladie.
Puis il a eu des troubles de l’équilibre dus à une métastase cérébrale. Il a été opéré. Avec ma mère, mes frères et mes sœurs, nous avons fêté le réveillon à l’hôpital. Il est mort le 17 mars 2003.

« Nous avons choisi d’aller en Justice »

Au nom de mon père, en accord avec toute la famille, ma mère et mes frères et sœurs, j’ai décidé d’intenter une action en justice contre Aluminium Pechiney.

J’ai commencé à lire, à me renseigner sur l’amiante. Dès les années 60 on savait que ce matériau était dangereux, et pourtant les industriels avaient continué à l’utiliser. Comment était-ce possible ?

En me documentant sur Internet, en lisant la presse, j’ai compris que je devais choisir entre le FIVA et une action judiciaire en faute inexcusable de l’employeur. J’ai choisi l’action en Justice.

Lors d’une Assemblée Générale de L’Andeva, j’ai rencontré toute l’équipe de Vincennes. Hélène m’a conseillé de m’adresser au cabinet de Michel Ledoux. C’est alors que les choses ont vraiment avancé.

J’ai travaillé avec Maïtena, une des associées du cabinet. J’ai mené ma propre enquête, en cherché à récupérer les dossiers de mon père partout : à l’inspection du Travail, à la CGT, à la médecine du Travail… J’ai lu des pages et des pages sur le site de Legifrance. Je me suis documenté sur Pechiney. J’ai même établi une chronologie de l’amiante mise en parallèle avec la vie professionnelle de mon père.

« Le Tass et la cour d’appel de Pau avaient blanchi Aluminium Péchiney »

Le 22 mai 2006, le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale de Pau m’a débouté, estimant qu’Aluminium Péchiney ignorait que l’amiante était dangereux ! Leur avocate a nié tous les faits.

Nous avons fait appel. Le jour de l’audience, j’ai organisé un rassemblement devant le palais de Justice de Pau. Plusieurs centaines de personnes sont venues me soutenir. Des membres de la famille, des collègues de travail de mon père étaient là.

Le 29 novembre 2007, malgré toutes les preuves apportées, la Cour d’appel de Pau confirma l’arrêt rendu par le TASS : Aluminium Pechiney était blanchi. Ce fut un coup très dur. Après discussion avec mon avocate, nous avons décidé de nous pourvoir en cassation.

« La cour de cassation nous a donné gain de cause »

Après deux échecs, nous avons finalement obtenu gain de cause : la cour a cassé le jugement de la cour d’appel de Pau et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Toulouse.

Le 25 juin 2010, la cour d’appel de Toulouse a condamné Aluminium Pechiney pour faute inexcusable.

Cela fut pour moi un immense soulagement : enfin la vérité éclatait, au nom de mon père et en mémoire de toutes les autres victimes de l’amiante et de leur famille.

Je dois beaucoup au soutien des membres de l’Andeva qui m’ont aidé et conseillé tout au long de mon combat. J’ai commencé à aider l’association et je voudrais faire davantage, peut être créer une antenne près de chez moi.

Aujourd’hui je sais que la reconnaissance du statut des victimes est capitale dans le travail de deuil.

Sept années de combat pour faire triompher la vérité, cela peut
paraître très long, mais à la recherche de la vérité, je ne les ai pas vues passer."


Article tiré du Bulletin de l’Andeva N°33 (août 2010)