Dans un arrêt rendu le 11 mai 2010, la Cour de cassation confirme l’existence d’un préjudice d’anxiété pour les anciens salariés de
l’Ahlstrom à Bergerac (que la cour d’appel de Bordeaux avait indemnisé à hauteur de 7 500 euros pour chacun des plaignants).

Mais, elle casse partiellement les arrêts des cours d’appel de Paris et de Pau en ce qu’elles avaient indemnisé le préjudice économique des anciens salariés de l’Ahlstrom et de ZF Masson à Sens. L’affaire sera rejugée devant des cours d’appel de renvoi.

Des arrêts favorables avaient été rendus par les conseils de prud’hommes de Bergerac, Sens, Forbach, Albi, Macon, Cherbourg, Marseille et Valenciennes ainsi que par les cours d’appel de Bordeaux de Paris.
La décision de la Cour de cassation était donc attendue avec impatience.

« Une situation d’inquiétude permanente face au risque »

La cour d’appel de Bordeaux avait relevé que les salariés d’Ahlstrom « se trouvaient par le fait de l’employeur dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante ».

La cour de cassation lui a donné raison.

L’Andeva a salué cet arrêt qui « confirme le préjudice d’anxiété pour des salariés exposés à l’amiante, qui doivent vivre avec une épée de Damoclès au dessus de la tête en sachant qu’ils ont dans les poumons des fibres qui peuvent causer des maladies mortelles. 

C’est une décision très importante : pour la première fois en France, est reconnu par la plus haute juridiction le droit à indemnisation pour des personnes ayant été exposées à un cancérogène et qui risquent de ce fait de développer un jour une pathologie sans que celle-ci soit déjà présente. »

Un arrêt d’une portée considérable

Il est sans doute trop tôt pour évaluer toutes les conséquences de cette reconnaissance. Deux aspects essentiels méritent d’être soulignés

1) On n’a pas besoin d’attendre d’être malade (20 ou 30 ans après avoir été exposé) pour engager une procédure prud’homale.

Ce n’est pas la réalisation du dommage mais la possibilité ou la probabilité de survenue de ce dommage suite à une faute de l’employeur qui permet à la personne contaminée de faire valoir son droit à indemnisation. Cela permet, comme les actions pour mise en danger d’autrui au pénal, d’avoir un retour plus rapide et plus efficace en matière de prévention du risque amiante.

2) Le préjudice d’anxiété concerne un public plus large que les anciens salariés partis en cessation anticipée d’activité amiante.

L’anxiété est présente chez leurs collègues qui ont respiré les mêmes fibres, mais n’ont pas pu partir, parce qu’une famille ne peut vivre décemment avec 65% du Smic. L’anxiété est aussi présente chez des maçons fumistes, des ouvriers de fonderie ou de l’industrie verrière, dont l’établissement n’est pas inscrit sur les listes mais qui ont accompagné leurs collègues malades de l’amiante jusqu’à leur dernière demeure. D’autres salariés exposés à des produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques peuvent, eux aussi, ressentir une anxiété justifiée.

La Cour refuse le préjudice économique

En passant d’un salaire plein à une allocation égale à 65% du brut,
les salariés de ZF Masson et d’Ahlstrom ont subi une perte non négligeable de revenu.

La cour d’appel de Paris avait estimé que l’employeur devait payer au centime près la différence.

La Cour d’appel de Bordeaux avait jugé que c’était plutôt la perte de chance de mener une carrière professionnelle à terme, qui devait être indemnisée.

La Cour de cassation a reconnu que cette perte de chance était un préjudice « effectivement caractérisé » et que l’employeur avait manqué à son « obligation de sécurité de résultat ». Elle a cependant estimé que la cause de cette perte de revenu résultait de la volonté du législateur qui avait créé ce dispositif et non de la faute de l’employeur.

Des conditions de vie bouleversées par la contamination

La cour de cassation a statué. Elle n’était pas unanime.

Ses arrêts ont ignoré plusieurs aspects de la réalité vécue par des salariés qui se savent contaminés : pour eux, le départ en Acaata n’est pas un libre choix, c’est un choix contraint. Il prend la forme d’une démission, mais la démission n’est pas un élément essentiel du dispositif puisqu’il est ouvert aux chômeurs. Et la loi n’interdit pas à l’employeur de verser un complément.
À la réflexion, ces arrêts posent une question fondamentale : l’origine des préjudices subis par les allocataires est-elle l’entrée dans le dispositif Acaata  ? Ne faut-il pas plutôt la rechercher en amont, dans la contamination elle-même ?

L’anxiété n’est en fait qu’une composante de tous les bouleversements introduits dans les conditions d’existence par la contamination. Ils devraient être pris en compte.

Les arrêts de la cour de cassation ne mettent pas fin au combat engagé il y a cinq ans. Il continuera sous d’autres formes, avec d’autres échéances.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°33 (août 2010)