Trente ans d’utilisation du chlordécone pour lutter contre le charançon dans les bananeraies guadeloupéennes et martiniquaises ont abouti à un désastre environnemental : une contamination massive par le pesticide de leurs sols, de leurs rivières ainsi que du littoral. Au total, quelque 80000 personnes habitent dans des zones où le sol est contaminé et 13000 absorbent chaque jour, en mangeant des légumes qu’ils cultivent, une quantité de chlordécone dépassant la valeur toxicologique de référence : 0,5 µg/kg/j
(un demi millionième de gramme par kilo et par jour).

Les résultats des études épidémiologiques

Fin juin, les résultats de l’étude épidémiologique Karuprostate ont confirmé que le chlordécone est responsable d’un accroissement significatif du risque de cancer de la prostate, lequel représente 50% de l’ensemble des cancers dépistés en Guadeloupe et à la Martinique. L’équipe dirigée par le professeur Luc Multigner (Inserm U625) et le service d’urologie du CHU de Pointe-à-Pitre, a comparé de 2004 à 2007, deux groupes d’hommes : 709 atteints d’un cancer de la prostate et 723 non malades. Le risque de survenue du cancer de la prostate augmente en fonction de l’exposition au chlordécone. La probabilité est ainsi multipliée par 1,8 chez les sujets ayant des concentrations sanguines supérieures à 1µg/litre.

Néanmoins, l’étude montre, qu’à contamination égale, le risque augmente parmi ceux ayant déclaré des antécédents familiaux de cancer de la prostate, ainsi que parmi ceux ayant résidé dans un pays occidental. « Lorsque ces deux facteurs sont présents simultanément, l’exposition au chlordécone multiplie par quatre le risque de cancer de la prostate », constate Luc Multigner. Le chercheur fait l’hypothèse que les populations ayant migré dans des pays dits occidentaux, essentiellement la métropole, y ont acquis des modes d’alimention à risque : consommation élevée de graisses animales et laitages au détriment des poissons, fruits et légumes.

La contamination des aliments et de l’eau des sources

Le rapport du conseil scientifique précise qu’aujourd’hui, même si le pesticide est interdit depuis 1993, la population s’expose au chlordécone en consommant des aliments contaminés, principalement les produits végétaux mais aussi les produits d’origine animale. En effet les volailles, caprins, bovins ont pu aussi être eux-mêmes contaminés en consommant des végétaux. Les poissons, et les crustacés peuvent être également contaminés s’ils vivent dans des zones où le chlordécone s’est accumulé. Même l’eau de boisson peut contribuer à cette exposition si elle provient d’une source contaminée et n’a pas été traitée.

Une demi-vie de six siècles dans le sol !

Le conseil liste douze recommandations dont : un suivi à long terme de l’état de santé de la population, et particulièrement des enfants antillais, et la réalisation, tous les cinq ans d’une étude d’imprégnation au chlordécone de la population. « Il faut aider la population à se préparer à vivre avec un problème qui n’est pas près de disparaître : la demi-vie du chlordécone dans le sol est de six siècles ! », a prévenu William Dab lors de la présentation du rapport du Conseil scientifique en octobre.

Eliane Patriarca


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°34 (janvier 2011)