Le procès pénal de Turin se poursuit. Ce véritable marathon judiciaire engagé par les victimes d’Eternit de Casale Monferrato, Cavagnolo, Rubiera et Bagnoli est le premier en Europe. Ses enjeux sont énormes. Il pourrait se conclure avant l’été.

Turin, 28 février 41ème audience.

Ce jour était aussi celui des funérailles de Bruno Filippi, le père du président de la province, nième victime d’Eternit, emporté, lui aussi, par un mésothéliome.
Il était croyant. A l’église, dans son homélie, le prêtre lança : « Si cette maladie a fauché tant de vies humaines dans la région de Casale, c’est parce que certains ont pris l’Argent pour Dieu . »

Un témoignage au jour le jour sur le vécu de la maladie

Bruno Filippi tenait un journal. Le prêtre salua « ce choix courageux de raconter, jour après jour, l’annonce du diagnostic, l’angoisse, la douleur, le sentiment d’impuissance, la souffrance mais aussi l’espérance ». Ce journal sera publié. C’était sa volonté. Un acte de foi, mais aussi un « acte d’accusation contre la recherche cynique du profit », écrit pour « rendre leur dignité » aux victimes d’Eternit à Casale, Cavagnolo, Rubiera, Bagnoli et ailleurs.

Émouvante délégation d’ouvrièressurvivantes

Cette quarante-et-unième audience fut aussi marquée par l’arrivée d’une délégation d’ouvrières de la S.I.A. (la Société italienne de l’amiante) de Grugliasco.
De la seconde moitié du 19ème siècle à 1986, une centaine d’ouvriers, surtout des femmes, ont produit des tissus, des cartons, des fils, et des garnitures d’amiante.
Elles n’avaient pour seule protection qu’un mouchoir humide devant la bouche. « Aujourd’hui peu d’entre nous ont survécu, racontent-elles, ils sont presque tous morts » d’une asbestose, d’un mésothéliome, d’un cancer du poumon ou d’une tumeur des ovaires.
« Quand on voyait un filet de traces blanches sur les radios, c’était mauvais signe » ...

Elles sont arrivées dans la salle d’audience pendant une pause, pour apporter leur solidarité, mais aussi pour avoir en retour celle des ouvriers de Casale. Elles ont ressenti le besoin de s’allier avec ceux, qui mènent ce combat en première ligne depuis tant d’années.
Ce fut leur première rencontre avec Romana Blasotti, présidente de l’Association des Familles de victimes de l’amiante et avec Bruno Pesce, porte-parole du Comité « Vertenza Amianto » qui dit sa volonté de voir grandir la multinationale des victimes en lutte contre les multinationales de l’amiante.

Lamentable prestation d’un témoin de la défense

Roberto Petacco, directeur de l’établissement de Bagnoli de 1979 à 1984 comparait comme témoin de la défense, pour Schmidheiny, dirigeant suisse d’Eternit.

Sans broncher, il explique que les mesures de sécurité prises dans cet établissement étaient « parfaites pour l’époque ». Il précise que « pour les opérations qui soulevaient le plus de poussières, on utilisait des aspirateurs »

- « Et les malades ? » demande l’avocate de la partie civile, Laura Mara.

- Réponse : « Quand ils partaient en pré-retraite, suite à une asbestose, c’était leur fils ou leur neveu qui prenait leur poste de travail. »
[Macabre passage de témoins entre générations…]

L’ex-dirigeant prétend qu’il ne savait pas que l’amiante était cancérogène. « A l’époque, on n’en parlait pas... »
[Il valait mieux ne pas en parler. Si quelqu’un s’y risquait, la Suisse envoyait un psychologue ! Un psy et pas un pneumologue, car les radios pulmonaires passées sur « le camion » suffisaient...]

Pour Petacco les contrôles d’empoussièrement étaient « suffisants » chez Eternit.

Question : « Quelle était leur périodicité ? »

Petacco commence à se troubler :  « Deux fois par an, euh… tous les mois, euh... deux fois par mois... »
[Un flottement sans doute explicable par le fait, relevé par le procureur Guarinello, que Petacco a déjà été condamné suite à une procédure engagée par des salariés d’Eternit.]

La défense renonce finalement à citer Luciano Porta chargé des contrôles d’empoussièrement.
Cesare Coppo, un « contrôleur » cité par la défense avait déjà fait sensation en soutenant qu’il n’avait « jamais vu de poussières chez Eternit » !


28 AVRIL A CASALE MONFERRATO

Journée mondiale des victimes de l’amiante

Une réunion internationale aura lieu à Casale à l’appel de l’association des familles de victimes de l’amiante (Afeva), des organisations syndicales (CGIL, CISL et UIL) et d’autres associations.
Des associations de victimes d’Europe et de divers continents sont invitées.
Une délégation de l’Andeva sera présente.

Au menu :

- le procès de Turin et l’état des actions engagées au pénal dans les autres pays,

- l’interdiction mondiale de l’amiante

- La gestion de « l’après-amiante » : actions judiciaires, réhabilitation, recherche sanitaire.

Polvere (poussière), un film de Niccolo Bruna sera projeté en avant-première

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°35 (avril 2011)