Rencontre avec Philippe PIGNARRE

Philippe Pignarre est l’auteur du livre « Le grand secret de l’industrie pharmaceutique » (aux éditions de La Découverte). Il nous parle de l’affaire du Mediator.

Vous êtes spécialiste des lobbys pharmaceutiques, éditeur et auteur...

J’ai travaillé dix-sept ans dans l’industrie pharmaceutique. J’y étais encore quand j’ai créé la collection de livres « Les Empêcheurs de penser en rond ». J’en suis parti pour travailler d’abord au Seuil puis à La Découverte. Parallèlement, j’ai tenté dans plusieurs essais de tirer les leçons de ce que j’avais appris sur le fonctionnement de l’industrie pharmaceutique, ce fleuron du capitalisme.

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour interdire le Mediator, alors que des médecins avaient alerté les autorités dès la fin des années 90 ?

Tous les observateurs ont été stupéfaits du retard pris. On n’imaginait pas que les autorités administratives de santé puissent rester d’une telle nullité ! On s’était laissé bercer par l’idée qu’il y avait eu des améliorations… Or un nombre considérable de molécules qui n’ont jamais été autorisées aux Etats-Unis sont encore en vente en France. Il faut qu’une commission d’enquête examine chaque cas et décide rapidement des retraits, qui, à mon avis, devraient être nombreux. On a pris l’habitude détestable (déjà sous Jospin) de dérembourser les médicaments inefficaces : c’est absurde. Il faut les retirer carrément du marché, les interdire, car ce sont des molécules potentiellement dangereuses.

Pourquoi ce médicament a-t-il été prescrit comme coupe-faim, alors qu’à l’origine il était destiné aux diabétiques obèses ?

Il y avait là un vrai marché ! La tentation était trop grande….

Le profit des laboratoires pharmaceutiques a-t-il pesé plus lourd que la prudence pour assurer la sécurité des malades ?

Les laboratoires ne sont prudents qu’avec leurs finances. La sécurité des patients ne vient qu’en second : s’il faut la respecter c’est seulement par peur du retour de bâton économique.

Comment cette crise sanitaire a-t-elle été gérée ? Toutes les victimes potentielles ont-elles été informées ?

L’avenir ne le dira pas… Tout est obscur et le restera ! On ne sait toujours pas combien le Celebrex (retiré du marché) avait provoqué d’accidents cardiaques en France !!!

On parle de 500 morts et de nombreuses hospitalisations. Ces chiffres sont-ils en dessous de la réalité ?

Le système de pharmacovigilance actuel ne permet pas de le savoir. Tout repose sur des déclarations volontaires des médecins !

Médecins et politiques sont-ils informés des risques. Appliquent-ils le principe de précaution ?

Non. Ils n’en ont rien à faire. La seule chose qui les préoccupe, c’est d’éviter les scandales. Tant qu’une affaire ne vient pas sur la place publique, ils s’en moquent.

Pensez-vous que l’affaire du Mediator puisse déboucher, comme celle de l’amiante, sur un procès pénal pour établir les responsabilités, voir s’il s’agit de négligence, d’inconscience ou de malveillance ? Quelle réparation pour les victimes ?

Je ne sais pas. Sur l’amiante, il a fallu une mobilisation considérable et de longue durée. Aurons-nous l’équivalent pour le Mediator ? Dans ces affaires, on ne peut compter que sur soi-même, sur la détermination des collectifs, leur capacité à inventer des formes de lutte. Sinon, il ne se passe rien.

Les victimes peuvent-elles constituer une association pour être reconnues et entendues ?

C’est indispensable, on ne peut pas compter sur les bonnes paroles des uns et des autres. Il faut être là en permanence.

Pensez-vous que d’autres scandales comme ceux de l’amiante, de l’hormone de croissance ou du sang contaminé soient encore possibles ?

On croit toujours que c’est le dernier ! Et puis une autre affaire arrive, aussi grave que la précédente. Je ne vois pas pourquoi cela changerait car le capitalisme est indifférent aux conséquences de ses actes.

Propos recueillis par Léa VEINBERG


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°35 (avril 2011)