Après les affaires de l’amiante, du sang contaminé, du distilbène et bien d’autres, le scandale du Mediator confirme l’inadaptation du Code pénal pour juger les véritables auteurs des catastrophes sanitaires.

« Non, Monsieur Servier,Vous n’êtes pas un criminel ! »

N’ayez crainte, Monsieur Servier, contrairement à ce que beaucoup de gens avancent imprudemment, les centaines de morts dues au Mediator que vous avez commercialisé ne font pas de vous un criminel. Hélas.

Le Code pénal français distingue les homicides volontaires des homicides involontaires, seuls les premiers étant, bien évidemment, des crimes. Mais le Code pénal français a ceci de particulier qu’il requiert, pour la qualification d’homicide « volontaire », l’intention de tuer. Et personne ne vous soupçonne, Monsieur Servier, d’avoir eu l’intention de tuer. Votre intention était tout autre : gagner de l’argent. A partir de 1995, vous ne pouviez pas ignorer que le Mediator contenait une molécule dont la toxicité était avérée. Vous saviez que sa prescription entraînerait obligatoirement de graves effets pour les patients. Des morts, même. Mais vous avez choisi de mettre en place une stratégie dont le seul objectif était de masquer la véritable nature de la molécule, pour continuer de pouvoir l’exploiter commercialement. Vous avez délibérément organisé un lobbying pour tromper le système de pharmacovigilance et de sécurité sanitaire français. 

« Dès 1995, vous ne pouviez pas ignorer que le Mediator contenait une molécule toxique »

Vous avez donc commis volontairement, en toute connaissance de cause, un acte conduisant des personnes à la mort. Mais votre intention n’était pas de tuer, simplement, vous vous moquiez que votre acte ait des morts pour conséquence.
Et cela n’est pas un crime. Le Code pénal n’a rien prévu pour ceux qui tuent en toute connaissance de cause, mais dont l’intention première n’est pas de tuer, juste de gagner de l’argent. Un homicide involontaire comme un autre, en somme. Un délit « non intentionnel », selon la terminologie consacrée, qui fait bondir les victimes, car s’il n’y avait pas intention de tuer, il y avait assurément intention de commettre un acte dont on savait qu’il allait tuer. Cette lacune du Code pénal resurgit à chaque affaire de santé publique, du sang contaminé à l’amiante.

Vous seriez donc, Monsieur Servier, un simple délinquant, vous auriez commis le délit d’homicide involontaire. Au même titre que la ménagère maladroite qui fait tomber un pot de fleurs de son balcon sur la tête d’un passant. Oh, pardon, nous allons trop vite en besogne. Dans notre état de droit, on ne condamne pas un chef d’entreprise comme on condamne une ménagère maladroite. Pour la ménagère maladroite, il n’y a pas de doute, elle est ce qu’on appelle un « auteur direct » du délit d’homicide involontaire. Mais pour vous, Monsieur Servier, ce n’est pas pareil. Vous, vous n’êtes pas un auteur direct : vous avez seulement produit et commercialisé le Mediator, vous ne l’avez pas administré, vous n’avez jamais vous-même rédigé une prescription.

Et l’on ne condamne pas aussi facilement un auteur indirect qu’un auteur direct. La loi Fauchon est en effet venue toiletter le code pénal sur ce point à l’aube du troisième millénaire. Initiative de la droite sénatoriale, soutenue par le gouvernement de gauche, la loi Fauchon avait comme objectif d’exonérer les élus, et plus généralement les décideurs, des conséquences pénales des atteintes à la personne causées par leurs décisions ou absence de décisions. Si l’on condamnait ceux qui prennent les décisions aussi facilement que ceux qui les appliquent, où irions-nous en effet ? La bataille menée à l’époque par les associations de victimes a permis d’atténuer un peu la portée de ladite loi Fauchon, mais il n’en reste pas moins que, pour les auteurs indirects, il n’y a délit que « s’il est établi qu’ils ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient ignorer ». Une décennie d’expérience montre que ce n’est pas cette disposition qui conduit à l’engorgement des prisons. Les responsables de catastrophes sanitaires peuvent dormir tranquilles.

Sauf quand ils sont épiciers. Et vous êtes un épicier, Monsieur Servier. Si vous l’aviez oublié, François Honnorat, qui a fait ses premières armes d’avocat dans l’affaire du sang contaminé, vous l’a rappelé en déposant une plainte en citation directe pour « tromperie ». Vous avez trompé les consommateurs du Mediator sur la composition et les effets de ce produit que vous leur avez vendu. Et la justice est sévère avec les épiciers : en acceptant d’oublier les morts et en se concentrant sur la chose la plus importante dans notre société, le commerce, François Honnorat a de grandes chances de vous faire condamner avant la fin de l’année. Et les peines encourues sont aussi importantes que si vous aviez tué …

« Il serait temps de cesser de protéger les « décideurs » et de réviser le code pénal »

Le constat est terrible : on pourra facilement faire condamner Monsieur Servier, comme avant lui Michel Garetta dans l’affaire du sang contaminé, pour tromperie sur la marchandise, un simple délit d’épicier, mais pas pour les centaines de morts qu’il a causées volontairement, en toute connaissance de cause. L’image de l’échelle des valeurs dans notre société que renvoie ce constat devrait inciter le législateur à la réflexion.

Mesdames, Messieurs, femmes et hommes politiques du gouvernement et du Parlement, peut-être serait-il temps que vous cessiez de protéger les « décideurs » et que vous révisiez le Code pénal pour que les affaires de santé publique puissent recevoir le traitement judiciaire qu’elles méritent. Doit-on vous rappeler que Monsieur Servier a, à lui seul, provoqué plus de morts que tous les braqueurs de banques et de fourgons de transport de fonds réunis ? Le fait de tuer en toute connaissance de cause, avec comme seule motivation de gagner de l’argent, mériterait assurément une entrée dans le Code pénal sous la qualification de crime.

Sinon, femmes et hommes politiques, vous continuerez régulièrement au gré des scandales sanitaires de nous affirmer la main sur le cœur que cela ne doit plus arriver. Et les épiciers comme Monsieur Servier continueront eux, en toute quiétude, de nous empoisonner.

Michel PARIGOT et François DESRIAUX, vice-présidents de l’Andeva

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°35 (avril 2011)