« Mais qu’est-ce que Vous voulez De plus ? »

Comme souvent, c’est par une rencontre que tout a commencé.

Nous sommes en avril 2010, pendant le festival « Femmes dans la ville » organisé chaque année à Cherbourg. L’association locale de défense des victimes de l’amiante (Adeva) a décidé d’investir les lieux et de profiter de l’occasion pour faire connaître son combat.
Autour d’une exposition composée des planches de la bande dessinée d’Albert Drandov sur l’amiante, elle organise des débats et des rencontres publiques sur la prévention du risque amiante.

Laurence Bohec, de la compagnie théâtrale « La langue fourchue du papillon » elle aussi présente sur ce festival, découvre à travers les témoignages poignants des célèbres veuves de Dunkerque invitées pour l’occasion ce drame d’ampleur nationale dont elle ignorait tout ou presque.
Bouleversée par la colère et la douleur de ces femmes, elle comprend qu’il y a là toute la matière d’un texte fort et engagé.

Aussi, quand Didier, Françoise et les autres de l’Adeva Cherbourg lui proposent d’écrire une pièce sur le sujet, elle accepte avec un réel enthousiasme, cependant teinté d’un peu d’appréhension. Car il va maintenant falloir se montrer à la hauteur.
Laurence effectue quelques séjours à Dunkerque afin de prolonger et fortifier les liens noués à l’occasion du festival. Très vite, au fil des entretiens menés avec les veuves de Dunkerque, le texte s’étoffe et le projet prend forme.

Le projet prend forme

Ce seront les témoignages qui en formeront l’épine dorsale. Le décor sera minimal, le jeu de scène sobre et discret, seulement soutenu et rythmé par des images vidéo projetées sur un écran.
Simplicité et modernité au service du texte issu de la parole libre des veuves et qui doit tout emporter. Les épreuves traversées, la perte, le manque, le sentiment d’injustice… tout est déjà là, dans les mots, et rien ne doit venir perturber l’émotion brute qui s’en dégage.
La date de la manifestation nationale de l’Andeva approchant, l’idée est lancée de faire appel à la Langue fourchue du papillon pour animer la fin de journée.

Paris, Vincennes

Le jour venu, le spectacle, très court, inspiré de la pièce toujours en phase d’écriture, se joue à l’air libre devant 5000 personnes.
L’émotion est palpable, le silence profond. Pendant les quelques minutes que dure la représentation, on dirait que Paris tout entier se tait.

Les mois passent. L’hiver s’installe et l’écriture touche à sa fin. Il est temps de lever un coin de voile sur ce que sera la pièce qui possède désormais un titre : « Mais qu’est-ce que vous voulez de plus ? », lancé comme un défi à la face de ceux qui s’étonnent qu’une contrepartie financière ne puisse pas faire oublier la perte d’un mari ou d’un père.

La compagnie se rend à Vincennes le 22 janvier pour la réunion de réseau annuelle de l’Andeva. Elle y interprète un extrait d’une demi-heure dans la salle de réunion de la MNFCT qui pourtant ne s’y prête guère. Beaucoup d’émotion, là encore. Il faut dire que pour ceux qui ce jour là composent l’assistance, ce n’est pas une pièce comme une autre. Les situations qui se jouent devant eux, ils les ont vécues.
Ces personnages qui s’animent sur l’estrade, ils les ont rencontrés.

Cherbourg

Quinze jours plus tard, à Cherbourg, c’est enfin le premier filage (pièce jouée dans son ensemble) devant un parterre d’invités.
Les veuves de Dunkerque ont fait le déplacement en compagnie de Laëtitia Pluta, secrétaire de l’Ardeva 59-62. Beaucoup de larmes et de sanglots refoulés à l’issue de la représentation. De la fierté aussi, de voir leurs souffrances et leur combat si justement et dignement portés.

C’est maintenant l’avant première officielle, toujours à Cherbourg, qui se profile, Ce sera le 17 mars, pour l’ouverture du festival « Femmes dans la ville », là où tout à commencé, un an plus tôt. La boucle est donc bouclée mais l’histoire n’est pas terminée pour autant.

Elle va se poursuivre le 26 mars à Dunkerque, la seconde maison, pour une représentation forcément très attendue. Puis il y a aussi l’inattendu, la cerise sur le gâteau, la sélection pour le « Masque d’or », distinction théâtrale honorifique dont la cérémonie se tiendra à Granville en Normandie le 27 mars. C’est pendant le filage du 29 janvier qu’une envoyée du Masque a découvert la pièce et pris la décision de l’intégrer à son programme.
Le mois d’avril sera lui aussi bien rempli pour Laurence Bohec et sa troupe. Le 9 ils seront à Bordeaux, à l’invitation d’Allo Amiante, et le 27 à Tourlaville, tout près de leurs bases Cherbourgeoises.

Et après ? Il ne tient qu’à l’Andeva et aux associations du réseau de faire en sorte que la belle histoire se prolonge et que la langue fourchue du papillon puisse continuer à parler au nom des victimes et des veuves de l’amiante en France.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°35 (avril 2011)