Un refus scandaleux du ministère

Depuis plus de sept ans, les salariés d’Aubert et Duval luttent pour que leur entreprise soit inscrite sur les listes ouvrant droit à la cessation anticipée. La Justice leur a donné raison, mais le ministère persiste à bafouer la loi.

« Faudra-t-il attendre que je sois malade pour partir ? »

Tout commence en 2003. Un salarié d’Aubert et Duval passe un scanner. Le pneumologue lui annonce qu’il a des plaques pleurales qui sont dues à l’amiante. Alertés, plusieurs collègues consultent à leur tour. Plus de 70 salariés découvrent qu’ils ont des plaques ou des épaississements !
« Ces examens médicaux ont eu lieu à notre initiative, dit Georges, secrétaire de la section CGT d’Aubert et Duval. A aucun moment la médecine du travail et notre hiérarchie ne nous avaient alertés »

La faute inexcusable reconnue

« Avec les conseils du Caper de Clermont, on a créé le Caper des Ancizes », raconte Franck, le secrétaire de l’association. « Défendre les salariés malades c’était le prolongement logique du combat syndical », ajoute Gérard, le président.

Epaulés par la CGT et le Caper, des salariés reconnus en maladie professionnelle demandent une cessation anticipée d’activité (l’Acaata).
La plupart attaquent l’entreprise en faute inexcusable. Ils gagnent.
Mais ici tout le monde a respiré de l’amiante. Certains sont malades, d’autres pourraient le devenir. Ils décident de se battre pour le classement en site amianté et obtenir l’Acaata pour tout le personnel. Ils déposent un dossier très complet, avec documents et témoignages prouvant la présence d’amiante dans tous les bâtiments.

« Ce serait justice, dit Franck. Ceux qui respirent de l’amiante ont une espérance de vie raccourcie ! Certains n’avaient rien de visible sur leur scanner. Ils sont morts d’un mésothéliome en quelques mois. »
Mais le ministère du travail refuse l’inscription. Les salariés contestent ce refus devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Le 24 décembre 2006, il annule la décision du ministère et lui donne deux mois pour réexaminer la demande.
Aubert et Duval et le ministère saisissent la Cour d’appel administrative de Lyon. L’entreprise prétend qu’il n’y a plus d’amiante chez elle depuis l’interdiction. Affirmation contredite par un rapport du cabinet Veritas. En fait le calorifugeage était bien partie intégrante de l’activité de l’entreprise.
Le 30 décembre 2010, le Conseil d’Etat enjoint à son tour le ministère de réexaminer l’inscription de l’entreprise comme site amianté. On en est à plus de 250 victimes...

La loi n’est pas appliquée

Les mois passent. Le ministère fait le mort. Il explique que la justice lui a demandé de « réexaminer » l’inscription et non « d’inscrire » !...
A une question du député PCF André Chasseigne, Eric Woerth et Fadela Amara répondent que les décisions de Justice devraient conduire l’État à inscrire Aubert et Duval, mais qu’une telle décision serait lourde de conséquences pour ce fournisseur de l’aéronautique, « fleuron de notre industrie ». La santé des salariés serait-elle moins importante que celle des entreprises ?...
« La loi nous donne raison. Elle n’est pas appliquée ! Connaissez-vous beaucoup d’entreprises dans cette situation ? » s’indigne Georges.

Les actions judiciaires se multiplient

En 2010, un salarié engage une action soutenue par tous. Roger, demande au ministère le classement du site et son départ en ACCATA. « J’aimerais bien voir grandir mes petits-enfants ! se désespère-t-il ! Faut-il attendre que je sois malade pour quitter mon travail ? » L’affaire est en cours.

La CGT et six salariés poursuivent aussi Aubert et Duval au pénal. Trois juges d’instruction du Pôle santé suivent l’affaire. Les gendarmes ont déjà interrogé une centaine de victimes.
Une autre action se mène devant les prud’hommes pour faire reconnaître le préjudice d’anxiété. « Ici, tout le monde pense à la maladie, même ceux qui n’ont rien pour le moment. C’est une épée de Damoclès au dessus de nos têtes », dit Franck. La première audience aura lieu le 7 septembre.
« Le dossier des Ancizes est emblématique, explique François Lafforgue, avocat des victimes et des salariés exposés. Je suis confiant sur l’issue de ce combat. »

Léa Veinberg

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°35 (avril 2011)