LE TÉMOIGNAGE D’ASSUNTA PRATO


Assunta Prato est l’une des animatrices de l’Afeva, l’association italienne des victimes de l’amiante. Elle était à Paris le 28 février pour soutenir les victimes de Condé-sur-Noireau. Nous avons profité de sa venue pour l’interviewer.
Retraitée depuis peu, elle a longtemps enseigné dans le secondaire à Casale Monferrato. Son mari est mort d’un mésothéliome.
Depuis plus de 20 ans, Assunta a mené un formidable travail de sensibilisation auprès des jeunes de la ville, multipliant les interventions et les animations dans les écoles.
Avec Gea Ferraris, peintre et illustratrice casalaise, elle a réalisé une émouvante BD, « Dissolvenza in Bianco » (« le brouillard blanc se dissipe »), qui retrace l’histoire de trente années de lutte contre l’amiante à Casale.
Pour les tout petits, elle a écrit « Attenti al Polverino » («  Attention aux mini-poussières  »), véridique fabulette sur l’histoire de l’amiante dans un pays imaginaire.
Elle a aussi transformé ses élèves en photographes « chasseurs d’amiante ».
Des centaines de lycéens de Casale sont allés à Turin assister à des audiences du procès Eternit. Une nouvelle génération citoyenne, d’une impressionnante maturité, est en train d’émerger dans cette petite ville du Piémont.

L’amiante a endeuillé beaucoup de familles à Casale Monferrato. Depuis de longues années, tu as multiplié les interventions dans les écoles, comment t’y prends-tu pour expliquer l’amiante à des enfants ?

Assunta : Je leur parle d’abord de ce que j’ai vécu : « Mon mari est mort d’un cancer de la plèvre à 49 ans. Je suis restée seule avec mes trois filles, qui avaient à peu près votre âge. » Ils écoutent tous. C’est une souffrance vécue à laquelle ils sont sensibles.
Je leur explique que cela m’est arrivé à moi mais qu’ils sont, eux aussi, concernés par l’amiante : c’est eux qui devront achever la dépollution de la ville que nous avons commencée. C’est eux qui devront faire avancer la recherche médicale pour soigner le mésothéliome.
A Alessandria, une ville située à 30 kilomètres de Casale Monferrato, une centaine d’enfants m’ont écoutée sans broncher, assis par terre, durant deux heures d’horloge.

C’est une longue tradition dans cette ville.

Chaque année, depuis près de 20 ans, des concours pour les élèves des écoles de la ville sont organisés par l’Afeva et la Bourse du travail de Casale Monferrato, sous le patronage de la commune de Casale et de la province d’Alexandrie.
La participation est ouverte à des élèves qui ont de trois à dix-huit ans. Ils peuvent écrire des textes ou des poèmes, faire des enquêtes, réaliser des dessins, des présentations ou des maquettes. Les récompenses sont modestes, mais les oeuvres sont exposées. L’an dernier nous leur avons demandé de faire des photos.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette « chasse à l’amiante » photographique  ?

Nous avons demandé aux élèves de rechercher des endroits où il y avait encore de l’amiante et de les photographier.
Le mot d’ordre était : « Signale l’amiante à ta commune ! Trouve-le avant qu’il ne te trouve !  »
Il s’agissait de les sensibiliser au travers d’une activité concrète. En faisant cette recherche et ces photos, ils sont devenus les protagonistes d’une lutte active pour rechercher et éliminer l’amiante.
Ils se sont mis en chasse, équipés de combinaisons blanches comme celles des désamianteurs. Et ils en ont trouvé un peu partout. Certains ont pris des dizaines de photos.
A Alessandria, des enfants de l’école élémentaire ont pris l’initiative d’aller voir le maire pour lui montrer les photos et lui poser la question : « Et maintenant, Monsieur le Maire, que faites-vous ? » C’était leur idée, pas celle des adultes.
Un jour, une petite fille nous a annoncé que son grand-père avait retiré une toiture en amiante-ciment.
Nous lui avons dit de le féliciter. En réalité, ce n’est pas le grand père qu’il aurait fallu féliciter, mais sa petite fille : elle lui avait tellement cassé les pieds, qu’il avait fini par faire ce qu’elle demandait !

Tu as réalisé « Dissolvenza in bianco » (« le brouillard blanc se dissipe »), une superbe bande dessinée sur la lutte de Casale. Comment t’est venue cette idée ?

Assunta : Je sais que les enfants et les adolescents comprennent bien le langage des images, qui stimule leur imaginaire.
Dans cette BD parue aux éditions Ediesse, tout est vrai, rien n’est inventé. Les personnages sont des ouvriers ou des habitants de Casale. Ils sont représentés tels qu’ils ont été ou tels qu’ils sont aujourd’hui. On peut les reconnaître.
De grands adolescents peuvent la comprendre, mais ce n’est pas une BD pour les enfants. Les témoignages des victimes et des veuves sont trop durs.
C’est pourquoi j’ai souhaité faire un autre livre sur l’amiante, toujours basé sur des images mais qui puisse être accessible à des enfants de 6 ou 7 ans. il s’appelle « Attenti al Polverino ! » (« Attention aux mini-poussières ! »),

Comment écrire pour des tout petits sur une telle tragédie ?

C’est une histoire vraie qui est racontée comme une fable : « Il était une fois dans un pays imaginaire une poussière magique, qui apportait la richesse à tous ceux qui s’en servaient.. Un jour on s’est aperçu qu’elle causait des maladies et des morts. Les habitants ont décidé de l’enlever complètement, partout où elle se trouvait. Il a fallu chercher comment soigner les personnes malades et faire payer ceux qui avaient causé tout cela. »
Le livre se termine par des dessins à faire ou à colorier pour répondre à une question : « Et toi, quand tu seras grand, que feras-tu ? »
J’ai été longtemps enseignante. Je sais que les choses apprises dans l’enfance restent gravées dans la mémoire.

Des lycéens de Casale sont allés par centaines à Turin assister à des audiences du procès Eternit. Comment ont-ils vécu cela ?

Assunta : Ils ont été profondément marqués par tout ce qu’ils ont entendu.
Une élève de quatorze ans est venue me voir. Elle qui donnait l’impression de ne s’intéresser qu’à son look et à ce qu’en pensaient les garçons, m’a dit combien elle avait été scandalisée par les arguments des avocats d’Eternit.
La jeunesse de Casale est déjà souvent descendue dans la rue.
On l’a vu en décembre 2011, à quelques semaines du procès, Schmidheiny a proposé au maire de Casale de verser 18 millions d’euros à la ville, si elle abandonnait toute poursuite judiciaire. Le maire a accepté. La ville entière s’est soulevée pour lui demander de refuser ce « pacte avec le diable ». La jeunesse scolarisée a été en première ligne de cette mobilisation citoyenne.

Et maintenant ?

Toutes les réalisations des élèves ont été présentées au président de la République le 28 avril. Le ministre de l’éducation est venu à Casale. Nous lui avons présenté un projet de musée de l’amiante à Casale, avec une salle où seraient exposées toutes les réalisations des élèves et des informations sur l’amiante. Le musée de l’environnement de Turin est prêt à nous aider. Le 2 mai, avec des écoles de danse, sera présenté un spectacle en vers écrit par des élèves à partir du livre « Attention aux mini-poussières ! », sur la musique d’un compositeur professionnel.

As-tu d’autres projets ?

Oui. Je voudrais mettre à la disposition des enseignants une série de liens Internet pour sensibiliser leurs classes sur le thème de l’amiante : des films comme « Indistruttibile » (« indestructible ») de Michele Citoni, des témoignages de Bruno Pesce ou Romana Blasotti Pavesi pour l’Afeva, des sites d’information sur l’amiante ou d’autres dangers. Ce projet sera mené en partenariat avec l’hôpital d’Alexandrie. Des médecins interviendront dans des classes et dialogueront avec les élèves. L’Académie devrait étendre la diffusion à toutes les écoles de la province.


JUMELAGES sans frontières

Une convention a été signée le 3 mars 2013 entre les écoles de Casale et l’Afeva sur un projet de «  Laboratoire de la mémoire
et de l’espérance, pour une multinationale contre l’amiante, la justice, la dépollution et la recherche
 ».
« C’est un projet qui nous tient à coeur, explique Assunta. Il s’agit de construire des jumelages entre les écoles de Casale Monferrato et celles de villes d’autres pays, où il y a des contaminations par l’amiante.
Cela permettra à des élèves de différents pays de nouer des contacts, d’échanger des informations par mails, voire d’organiser des visites. Les élèves d’un pays deviendront en quelque sorte les « tuteurs » des élèves d’autres pays, sans forcément passer par des adultes. L’idée est de favoriser les échanges des élèves entre eux.
Nous aimerions bien que des associations locales de l’Andeva puisse s’inscrire dans ce projet, avec des écoles de leur région. »


Article paru dans le bullletin de l’Andeva n°42 (avril 2013)