La cour d’appel de Turin rendra son jugement au mois de mai

Absents aux audiences, les deux dirigeants d’Eternit continuent - par la bouche de leurs avocats - à nier toute responsabilité dans la tragédie qu’ils ont provoquée. Le procureur Guariniello a réclamé 20 ans de prison.

« Sur le fond, il n’y a pas vraiment de nouveauté dans ce procès en appel, explique Bruno Pesce, le coordinateur de l’Afeva.
«  Les avocats de la défense reprennent les mêmes arguments qu’en première instance, plaidant l’innocence de leurs clients, la nullité de la procédure, l’incompétence du tribunal, l’inadéquation des incriminations et la sévérité excessive des peines.
Pourtant, ce procès présente un concentré saisissant de toutes les informations que nous avons réunies depuis des des décennies. Elles démontrent que cette catastrophe sanitaire est le résultat prévisible d’une stratégie décidée au plus haut niveau de la multinationale.
Une stratégie qui a continué jusqu’à la fin, malgré les données scientifiques prouvant l’existence d’un risque mortel. Ils ont préféré dépenser leur argent pour fliquer nos réunions plutôt que pour protéger la santé et la vie des ouvriers et de la population. Je connais bien les faits. Mais je n’avais jamais ressenti avec autant d’acuité la cohérence de cette stratégie criminelle.
A Casale, la mobilisation des ouvriers, de la population et des lycéens est toujours très importante
. »

Les plaidoiries des parties civiles ont eu lieu le 25 mars à Turin. Aux côtés de Sergio Bonetto, l’avocat des victimes italiennes, est intervenue Sylvie Topaloff, l’avocate des victimes françaises, Elle a souligné la similitude des conditions de travail chez Eternit en France et en Italie. Elle a évoqué les liens unissant Joseph Cuvelier, mis en examen en France comme dirigeant et propriétaire d’Eternit en France, et les dirigeants des usines d’amiante italiennes. Elle a rappelé qu’en 1971, à la Conférence de Londres ; où fut mise au point une campagne internationale de propagande en faveur de l’amiante, les PDG des usines françaises et italiennes étaient présents. « Ma plaidoirie a été bien accueillie par les victimes italiennes », explique Sylvie Topaloff.

En appel, comme en première instance, les deux accusés n’ont assisté à aucune audience. Leur défense est assurée par 8 avocats plaidants pour lesquels travaillent 80 avocats de toutes spécialités.

Le procureur Guariniello, a requis 20 ans de prison. Le jugement devrait être rendu en mai. Tous espèrent qu’il confirmera le verdict rendu l’an dernier.
Quelle que soit la décision, il faudra encore la faire exécuter, ce qui n’ira pas sans mal. Après le premier jugement, Schmidheiny et de Cartier ont refusé de verser les provisions sur indemnités aux victimes, à l’INAIL et aux institutions locales. Il faudra les y contraindre.

 


Eternit giusticia !

Il y a un an, le tribunal de Turin condamnait le Suisse Schmidheiny et le Belge de Cartier de Marchienne, propriétaires et dirigeants de la multinationale Eternit à 16 ans de prison.
Ils étaient reconnus coupables d’une catastrophe environnentale qui avait décimé les ouvriers et la population de Casale Monferrato, Cavagnolo, Rubiera et Naples.
Une catastrophe prévisible, dont ils avaient froidement assumé le risque, sans informer ceux qu’ils mettaient sciemment en danger de mort.
Le procès avait duré 2 ans : 83 audiences, 6000 parties civiles, dont 800 victimes et les familles de 2000 personnes décédées...

Les condamnés ont fait appel. Ils seront de nouveau jugés à Turin. Le verdict sera rendu en mai.
En Italie et dans le monde entier, les victimes de l’amiante attendent une confirmation de ce jugement exemplaire.

 


14 février à Turin
Les victimes de France et de Belgique solidaires

Le 14 février, jour de la première audience du procès en appel, l’Andeva et l’Abeva étaient venues soutenir les victimes italiennes.

Ce jour-là, dès 8 heures et demie, un rassemblement se forme devant le Palais de Justice de Turin.
Les victimes italiennes affluent par centaines, avec la même détermination qu’au premier jour. Une semaine plus tôt, à Casale, 1500 personnes ont participé à une marche aux flambeaux dans les rues de la ville.
Venues de France en bus et en voitures, des victimes et des veuves de l’amiante, des syndicalistes et des mutualistes apportent leur soutien : Le Caper Bourgogne, les Caper Nord et Sud Isère, l’Aldeva Andancette, le Caper Ardèche, les mineurs de Lorraine sont là, fidèles au poste.
Bruno Pesce pour l’Afeva, Eric Joncklheere pour l’Abeva et Alain Bobbio pour l’Andeva prennent la parole. Puis tout le monde entre dans le tribunal.
Dans la salle d’audience principale où les victimes italiennes entrent en masse, se retrouvent les juges et une nuée d’avocats de la défense et des parties civiles.
Dans une seconde salle, plus vaste, se retrouvent les lycéens de Casale et les délégations de l’Andeva et de l’Abeva. On suit l’audience retransmise sur écran géant. Consacrée à des questions de procédure, elle dure peu.
Puis, les victimes italiennes, françaises et belges se retrouvent dans la grande salle.
Romana Blasotti Pavesi et Eric Jonckheere qui, tous deux, ont vu leur famille décimée par l’amiante d’Eternit se retrouvent à la même tribune.
Après une présentation du procès et de la situation en Italie, en France et en Belgique, un dialogue émouvant s’engage avec la salle.
Une déclaration commune « en direct du Palais de Justice de Turin » est adoptée et aussitôt traduite en trois langues.

 


Déclaration depuis le palais de justice de Turin
14 Fevrier 2013

Il y a un an, le tribunal de Turin condamnait le Suisse Stephan Schmidheiny et le Belge Louis de Cartier de Marchienne, deux actionnaires majoritaires d’Eternit, la multinationale de l’amiante-ciment, à 16 ans de prison.
Aujourd’hui, pour le premier jour de leur procès en appel, des victimes de l’amiante sont venues de France et de Belgique apporter leur soutien aux victimes italiennes.
Nous, représentants de l’Afeva, de l’Andeva et de l’Abeva, trois associations qui défendent les victimes de l’amiante en Italie, en France et en Belgique, faisons aujourd’hui, depuis le Palais de Justice de Turin, la déclaration suivante :

« Nous souhaitons de tout coeur que la justice italienne confirme le jugement rendu en première instance, il y a un an, par un verdict à la hauteur de la gravité de la catastrophe humaine et environnementale qu’Eternit a provoquée à Casale, Cavagnolo, Rubiera et Napoli.
Nous demandons à l’État italien d’aider les victimes et les familles à recevoir les indemnisations qui leurs sont dues.

Nous demandons à l’État français de maintenir la juge d’instruction, Madame Bertella-Geffroy en poste et de lui donner des moyens suffisants pour qu’elle puisse terminer l’instruction cette année et que justice soit rendue aux victimes françaises qui attendent un procès pénal depuis 16 ans. Nous appelons à signer la pétition qui porte ces demandes :
http://www.santepublique-instructionendanger.org

Nous demandons à la justice française de rechercher et de juger les responsables. La Cour de cassation doit entendre la voix des victimes. Il serait incompréhensible et moralement inacceptable qu’une catastrophe qui fait 3000 morts par an n’ait ni responsable ni coupable. Il serait inacceptable que des tragédies comme celle d’Amisol à Clermont-Ferrand ou de Valeo à Condé-sur-Noireau se terminent par un non lieu et que les personnes mises en examen soient blanchies avant d’avoir été jugées.

Dans le procès de l’amiante au civil en Belgique, Eternit a interjeté appel de la condamnation intervenue en novembre 2011.
Nous espérons que la justice belge saura entendre les victimes et condamner la multinationale responsable,
***
L’Afeva, l’Andeva et l’Abeva demandent aux Etats et aux magistrats de respecter les souffrances des victimes de l’amiante et de leurs familles. Elles ne veulent pas seulement être indemnisées. Elles veulent la Justice. Elles veulent que les responsables soient jugés, non par esprit de vengeance, mais pour que toutes les leçons de ces catastrophes soient tirées afin que les générations futures ne connaissent plus jamais de telles tragédies
. »

AFEVA, CGIL, CISL et UIL de Casale Monferrato
ANDEVA
ABEVA


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°42 (avril 2013)