« Le travail commençait un peu avant le dernier métro et se terminait au petit matin. On travaillait dans les tunnels, la nuit, dans la poussière. C’était très dur. »
André a travaillé pendant 30 ans dans une société sous-traitante de la RATP. Atteint d’un cancer du poumon en 1991, il a subi une ablation du poumon droit en 1993. Il décrit les conditions de travail épouvantables des ouvriers de la voie.
« Pire que des charbonniers »
« Il fallait remplacer le ballast et les traverses. On enlevait tous les cailloux avec une pelle et on remplissait avec le nouveau ballast. A cette époque, tout se faisait à la main.
Sur certaines lignes il y avait des traverses en chêne qui remontaient à l’origine du métro....
Dans les dernières années nous avons eu une machine. Elle abattait un travail énorme, mais, lorsque la couche de ballast était trop épaisse, elle soulevait des nuages de poussière. »
« Nous arrêtions à 5 heures du matin pour casser la croûte. Nous étions gris des pieds à la tête, pire que des charbonniers.
Il n’y avait pas de douche. Au matin, on mettait une dizaine de seaux d’eau froide sur le quai, et il fallait se laver la figure, à plusieurs dans le même seau. On prenait l’eau avec les mains et on s’aspergeait la figure et le ventre. Quelquefois on s’arrosait avec un tuyau d’eau froide. »
« Il fallait gratter pour enlever la graisse des rails, entre deux passages de trains. Nous passions de la chaux vive sur la graisse pour la décoller.
Nos bleus étaient couverts de poussière et de graisse. Quand on les ramenait à laver à la maison, ils tenaient debout tout seuls ! »
Un travail sale et dangereux
Le mari de Fatima était un collègue de Daniel. Il est décédé d’un cancer broncho-pulmonaire.
Elle raconte comment elle lavait ses bleus en plusieurs étapes : il fallait d’abord les secouer à l’extérieur, puis gratter les jambes de pantalon pleines de cambouis avec un couteau, puis mettre à tremper dans une bassine d’eau bouillante... « Je les lavais deux, trois, voire quatre fois avant de réussir à les rendre propres »
« Il y avait beaucoup d’accidents, explique André. Des gars qui n’avaient pas entendu le signal se faisaient déchiqueter par des trains. D’autres se faisaient électrocuter par le rail de courant. Il n’y avait pas de sécurité à cette époque. »
« Le danger, on le voyait surtout dans notre travail : il fallait faire attention à ses mains et à ses pieds pour ne pas se les faire écraser par une traverse. Il fallait faire attention au signal de la trompette qui annonçait l’arrivée d’un train. Mais personne ne nous avait dit qu’il fallait faire attention à l’amiante. On ne voyait pas le danger. »
Et pourtant, pour ceux qui travaillaient sur les voies du métro, le danger amiante était bien réel.
« Des morceaux d’amiante se décollaient du plafond »
« Il y avait un tunnel recouvert d’amiante à la hauteur de l’hôpital Bichat, explique André. C’était de l’amiante projeté. Cela ressemblait à de la mousse. Il y avait des morceaux qui se décollaient du plafond. »
« Il y avait aussi de l’amiante sur les pistes de roulement du métro. Les freins des trains étaient en amiante. On voyait bien les traces de freinage des trains sur les rails, surtout dans les courbes. Les rails étaient usés par les freinages. »
Leur société s’est appelée Montcocol puis Drouard. Elle avait trois secteurs d’activités : le nettoyage des stations, les travaux de maçonnerie et le travail sur les voies.
Dès 1978, Montcocol remportait un appel d’offre lancé par la RATP pour une opération spécialisée de désamiantage sur un poste de redressement.
C’est encore Montcocol - Drouard qui a retiré l’amiante qui garnissait la voûte de certains tunnels. André se souvient : « Ils avaient mis une bâche à chaque bout du tunnel. Ce sont trois ouvriers de la maçonnerie qui ont fait ce travail. Le tunnel a été bâché aux deux bouts. On ne les voyait pas travailler. Nous avons vu qu’ils avaient des combinaisons et des masques, mais nous n’avons pas réalisé à l’époque à quel point l’amiante était dangereux. »
Ceux qui ont respiré de l’amiante ignoraient les dangers de ce matériau cancérogène.
Beaucoup étaient des immigrés qui sont retournés au pays pour y mourir d’un cancer dont ils n’ont jamais su l’origine.
Mais ceux qui les ont fait travailler dans la poussière sans les informer ni les protéger ne pouvaient pas ignorer les risques qu’ils leur faisaient courir pour leur santé et pour leur vie.
Les dirigeants de la société Montcocol ont répondu aux premiers appels d’offres de la RATP pour des chantiers de désamiantage il y a près de 30 ans.
Qui peut croire qu’ils ignoraient le danger ?
Fatima et ses enfants ont engagé une action en faute inexcusable de l’employeur.
Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°22 (avril 2007)